Alex arrive dans une salle d’attente, où il discute avec une jolie jeune femme aussi directe que pétillante. Elle vient aussi consulter son psy. On l’appelle, il la salue et commence une psychothérapie dans une grande salle sans fenêtre ceinturée de livres sur tous ses murs. Il s’assied, porte sa tristesse comme son costard mal taillé et tente d’échapper à l’inéluctable en coupant court à l’entretien. Trop tard, le charme opère déjà : le film d’Henry Bromell est un chef-d’œuvre de mélancolie.
Alex, est joué par William H Macy. Un charisme fou de Droopy, qui fascine d’autant plus qu’il est le genre d’acteur dont on se souvient, tout en cherchant à se rappeler de son nom en se maudissant de ne pas le retenir. Enfin, ça, c’est souvent au début. De seconds rôles en apparitions en guest star dans Urgences, d’une présence remarquée dans Fargo (J et E Coen, 1996),on a envie de retenir par la manche ce clown triste. Un visage marqué, cerné et ridé, un regard perçant, ce visage est devenu iconique d’une belle mélancolie. Celui de la tristesse qui ne perd ni ne gagne jamais totalement. Dans Fargo, on le prend en pitié pour vouloir organiser l’enlèvement de sa femme. Panic en est le parfait reflet : un brocanteur, tueur à gages à mi-temps sous l’emprise de son père pervers narcissique, n’en peut littéralement plus. Il veut raccrocher.
Cette incapacité à trancher, qui est le propre des anxieux, Alex en est une incarnation. Dans la salle d’attente, il est déjà vaincu. Il n’est déjà plus celui qui vissera le silencieux sur son flingue avec ses gants noirs, comme dans les mauvais clichés des films de gangsters. Il est déjà celui qui file en marchant, saluant sa victime qu’il vient de tuer devant de grandes façades nues, dans un costume trop grand pour lui. Alex, face à Sarah Cassidy (Neve Campbell) c’est aussi celui qui regrette les flirts passés avec sa femme qu’il adore tout comme son fils de 6 ans. Il se rappelle avoir été audacieux mais aimerait bien retomber amoureux, presque malgré lui. Il est un père aimant, qui parle tous les soirs avec son fils, dans des scènes époustouflantes de tendresse. Un père qui est encore un fils qui aime malgré lui celui qui l’a façonné tueur, alors qu’il a toujours souhaité n’en être rien. Ses combats sont légion, et il n’est même pas soldat.
La tristesse est l’enveloppe de ce personnage calqué trait pour trait sur l’allure, la posture, la voix et le regard de son acteur. Un acteur qui aurait mérité tellement plus de premiers rôles et laisse savourer les personnages qu’il a portés dans un grand vent de spleen. Alex/William H Macy, c’est aussi la figure du cinéma indépendant arty, grandiose looser désabusé, qui dialogue avec le charme sans limites de la jeunette portant sur ses épaules alors la franchise de Scream, (Wes Craven) achevée une première fois sur un cycle de trois films en 2000. De cette rencontre improbable dans un film qui l’est tout autant devenu, naît une lancinante énergie, fascinante, magnétique. Alex est un simple héros qui irradie l’écran de tout ce qui n’y était jamais entré. Un grand petit rôle, si indispensable, si manquant. On y revient souvent, comme on pense à un être cher dont on aime bien revoir les photos cornées.
Le film, par extension est devenu un grand lac des cygnes. Henry Bromell réalise ici son seul long-métrage, Neve Campbell ne sera jamais plus aussi touchante, sur un score lançant de grandes nappes de synthé désabusées. Il est beau comme une douce agonie, le sourire aux lèvres, au bord d’une piscine. Alex a de William H Macy et de ce film, perdu dans les rayons de dvds et les références de l’imdb, cette infime trace qu’il laisse, même pour tous ceux qui passeront à côté sans le savoir d’un chef-d’œuvre ignoré et mourant lentement dans l’ombre, beau et crépusculaire.