Figure mythique connue de tous, le vampire est devenu un symbole dans les arts. Revenons ici à ses origines en littérature.
Définitions et historique
Si aujourd’hui on connaît tous le vampire comme une créature maléfique qui suce le sang de ses victimes jusqu’à ce que mort s’ensuive, cette vision de la bête n’a pas toujours été la même. Revenons sur ses différentes définitions et sur ses différentes apparitions dans les journaux.
La première apparition du mot « vampire » en France remonterait vraisemblablement à l’année 1732, dans le journal Le Glaneur, historique, moral, littéraire et calotin. Cependant, ce n’est pas la première apparition du mot dans un texte puisque en l’année 1725, comme le relève l’historien Antoine Faivre, on le retrouve dans un journal allemand sous le nom de « Vanpir ».
La première définition du mot vampire, en tout cas en France, se trouvant dans un dictionnaire date de 1752, dans le Dictionnaire de Trévoux (écrit par des jésuites). Il renvoie à la définition du mot « stryge » car, comme il est écrit, « c’est la même chose ».
Stryges s.m.: « nom donné à ces corps morts qu’on trouve en Russie, qui, dit-on, ne pourrissent point, et que l’on voit dans leurs cercueils, rubiconds et flexibles, quoiqu’il y ait longtemps qu’ils soient morts. [On rapporte que] le Démon suce et tire des corps des personnes vivantes, ou des bestiaux, du sang, et le va verser dans ces cadavres : ce qu’il fait quelquefois en telle quantité, qu’ils nagent dans leurs cercueils, et qu’on leur voit sortir le sang par la bouche, le nez et les oreilles. On dit que c’est ordinairement la nuit que le Démon fait ce personnage, et que c’est toujours aux parents ou amis du mort qu’il s’adresse ; qu’il les embrasse, les serre, et leur représente l’image du mort, et qu’à force de les sucer et de leur tirer du sang, il les affaiblit si fort, qu’ils sèchent, maigrissent, et meurent à la fin. Cette persécution durerait jusqu’à la dernière personne de la famille, si l’on n’y donnait ordre. Cela se fait en coupant la tête et ouvrant le cœur des Stryges, dont on a vu l’image pendant la vexation. On ramasse le sang qui en sort par abondance ; on en fait du pain avec de la farine : on en mange, et l’esprit ne revient plus. »
Elle est traitée comme un fait historique, car à l’époque le mythe vampirique était très présent dans les légendes urbaines. Ce n’est pas étonnant car quelques années avant, en 1725, le premier cas de « vampire classique » était relaté dans la presse viennoise ! En effet, le journal Das Wienerische Diarium écrit qu’un homme décédé, Peter Plogojowitz, du village de Kisilova, en Serbie, serait revenu d’entre les morts pour attaquer neuf personnes. Celles-ci auraient déclaré qu’il leur aurait serré le cou en apparaissant dans leur sommeil, et elles seraient toutes mortes des suites d’une maladie. La définition donnée par le Dictionnaire de Trévoux correspond donc bel et bien aux cas de vampirisme qui se seraient déroulés à plusieurs moments de l’histoire. Il y en a eu plusieurs, dont la plupart en Serbie. Il semblerait donc que les légendes autour de cette créature maléfique soient d’origines slaves. Pas étonnant donc que l’un des plus fameux livre autour du mythe vampirique, Dracula, se déroule en Transylvanie !
Il apparaît, lorsque l’on regarde cette définition, qu’il y a une confusion entre les « stryges » et les « vampires ». Ce n’est plus le cas dans le Dictionnaire historique du Moreri de 1759. D’ailleurs elle colle à celle donnée par le Dictionnaire de Trévoux de 1771. Dans ces deux cas, le vampire est un mort qui suce le sang des vivants alors que les « stryges » sont des corps morts dans lesquels le Démon verse le sang qu’il a sucé aux vivants. Cette définition servira de référence dans les récits de fiction.
Aux origines du vampire dans la fiction littéraire
L’un des premiers textes de fiction autour du thème du vampirisme est un poème de l’auteur allemand Heinrich August Ossenfelder, intitulé « Der Vampir » et datant du 25 Mai 1748. N’existant pas de traduction française, nous vous mettons le texte originel en langue allemande et sa traduction anglaise.
Mein liebes Mägdchen glaubet
Beständig steif und feste,
An die gegebnen Lehren
Der immer frommen Mutter;
Als Völker an der Theyse
An tödtliche Vampiere
Heyduckisch feste glauben.
Nun warte nur Christianchen,
Du willst mich gar nicht lieben;
Ich will mich an dir rächen,
Und heute in Tockayer
Zu einem Vampir trinken.
Und wenn du sanfte schlummerst,
Von deinen schönen Wangen
Den frischen Purpur saugen.
Alsdenn wirst du erschrecken,
Wenn ich dich werde küssen
Und als ein Vampir küssen:
Wenn du dann recht erzitterst
Und matt in meine Arme,
Gleich einer Todten sinkest
Alsdenn will ich dich fragen,
Sind meine Lehren besser,
Als deiner guten Mutter?
My dear young maiden clingeth
Unbending fast and firm
To all the long-held teaching
Of a mother ever true;
As in vampires unmortal
Folk on the Theyse’s portal
Heyduck-like do believe.
But my Christine thou dost dally,
And wilt my loving parry
Till I myself avenging
To a vampire’s health a-drinking
Him toast in pale tockay.
And as softly thou art sleeping
To thee shall I come creeping
And thy life’s blood drain away.
And so shalt thou be trembling
For thus shall I be kissing
And death’s threshold thou’ it be crossing
With fear, in my cold arms.
And last shall I thee question
Compared to such instruction
What are a mother’s charms?
En 1797, toujours dans la poésie allemande, Goethe traite d’une fiancée revenant de la tombe pour visiter son amant, dans La Fiancée de Corinthe. En voici un extrait (traduit par M. Henri Blaze):
L’amour les enlace en des nœuds plus étroits, des larmes se mêlent à leur ivresse ; elle dévore avec fureur les flammes de sa bouche ; l’un dans l’autre seulement se sent vivre. Sa rage amoureuse embrase son sang figé, mais il ne bat point de cœur dans sa poitrine.
Les premiers textes de fiction concernant les vampires semblent être d’origine allemande, mais ce genre de récits ne tarde pas à se diffuser dans toute l’Europe, et plus précisément au Royaume-Uni, berceau des textes fondateurs du mythe vampirique. Pour cause, l’un des textes les plus connus à ce sujet est une nouvelle de John William Polidori, « The Vampyre« , parue en 1819 dans The New Monthly Magazine. Il s’inspire d’un brouillon du poète Lord Byron que celui-ci a écrit lors de son séjour avec le couple Shelley (Percy et Mary, lui auteur de poèmes et elle autrice entre autres de Frankenstein) à la Villa Diodati. Le poète avait déjà abordé le sujet du vampirisme dans son poème Le Giaour, écrit en 1813. La nouvelle fut publiée sous le nom de Lord Byron, dans le but d’attirer l’attention des lecteurs en utilisant sa renommée, mais celui-ci démentira en être l’auteur, ce que fera également Polidori. Le magazine lui en attribue tout de même la paternité.
Son texte s’inspire de la figure du héros byronien, un héros désabusé et malheureux ainsi que sulfureux. Il raconte l’histoire d’Aubrey, riche orphelin anglais qui rencontre un personnage énigmatique, Lord Ruthven, décrit comme un « dépravé » et « dangereux pour la société ». Le narrateur insiste sur « la pâleur mortelle de son visage que ne coloraient jamais ni l’aimable incarnat de la pudeur, ni la rougeur d’une vive émotion. » Pas difficile de deviner que Lord Ruthven n’est autre qu’un vampire ! Cette nouvelle a beaucoup de succès et popularise le mythe vampirique, qui sera repris dans beaucoup d’autres œuvres par la suite.
Comme nous l’avons dit, la popularité des récits vampiriques ne tarde pas à gagner le reste de l’Europe, et surtout la France, où l’on retrouve plusieurs textes, bien avant le Dracula de Stoker qui, encore aujourd’hui, reste l’oeuvre classique par excellence à ce sujet. Parmi les textes français, citons La Morte amoureuse de Théophile Gautier, nouvelle au style magnifique, parue en 1836 dans La Chronique de Paris. Elle ne révolutionne pas le genre mais continue d’instaurer les codes des récits vampiriques, en traitant d’une histoire d’amour entre un prêtre et une courtisane, Clarimonde. On y retrouve la thématique du rêve et des cauchemars, ce qui sera repris par la suite dans d’autres œuvres sur le même sujet.
Toujours en France, en 1851, l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly, dans son roman Une vieille maîtresse, ajoute encore au charme du vampire en lui conférant une identité trouble. En effet, il narre l’histoire d’un homme, un dandy dévoyé, qui tombe amoureux d’une jeune fille chaste, et qui décide donc de quitter son ancienne amante, Vellini, qui est évidemment un vampire.
Elle est décrite comme androgyne, avec « une bouche trop grande, estompée d’un duvet noir bleu, qui, avec [une] poitrine extrêmement plate […], lui donnait fort un air de jeune garçon déguisé. » Elle a donc une identité à la fois féminine et masculine, ce qui sera renforcé par le fait que, dans le roman, elle se déguisera en homme pour servir de témoin à son ex-mari.
Il est intéressant de noter que la figure vampirique ici semble nous échapper, qu’elle est difficile à distinguer. Elle incarne à la fois le « surnaturel du masculin et la séduction du féminin » (selon Maya Hadeh, dans son étude sur la « Mythologie De La Chauve-Souris : Le Vampire Et Ses Avatars Chez Baudelaire Et Barbey D’Aurevilly« ).
Ce jeu de séduction se retrouvera par la suite dans d’autres textes, comme Carmilla de Sheridan Le Fanu, datant de 1872. C’est l’un des plus célèbres romans sur les vampires, qui instaurera ce qu’on appelle d’ailleurs le « vampirisme lesbien ». Cette appellation fait référence à la romance des deux personnages principaux, à savoir la jeune fille vierge, Laura, incarnation de l’héroïne gothique par excellence (toujours très présente dans ce genre de récits) et la mystérieuse Carmilla. L’on peut parler de romance, pourtant dans ce livre leur relation n’est pas franchement établie, elle est surtout décrite de façon sensuelle mais délicate. Par exemple, Laura, la narratrice, parle toujours de son amie en des termes élogieux, notamment de son physique et de son visage « gracieux », et bien-sûr de son teint très pâle.
Leur relation est décrite comme dangereuse car elle est mortifère pour Laura et les autres victimes de Carmilla.
Enfin, comme nous l’avons évoqué, LE livre sur la figure du vampire, celui qui est resté culte, le classique par excellence n’est autre que Dracula de Bram Stoker, qui s’est largement inspiré de son compatriote irlandais, en publiant son récit 17 ans plus tard. Pour parler de son statut, citons ce qu’en a dit Jacques Finné, spécialiste de la littérature fantastique :
Dracula marque un point de départ. Largement exploité par la scène et par le cinéma, il est responsable de la connaissance définitive du vampire par le grand public. Tous les détails concernant sa vie, ses mœurs, sa mort, c’est Dracula qui les a rassemblés, véritable Bible du vampirisme. […] Stoker reprit, bien entendu, les fonds de croyance populaire centrés sur les vampires – bien qu’il eût accentué l’aspect symbolique du mythe, soit la recherche de la vie éternelle et l’obsession de la vieillesse.
Notons que pour écrire son personnage le plus populaire, celui qui a donné au texte son titre, Bram Stoker s’est inspiré d’une personne ayant vraiment existé : Vlad Tepes. C’était un prince roumain du XVème siècle, célèbre pour ses actes de tortures, il était aussi surnommé « Drăculea » et « l’Empaleur ». C’est donc pour cela que l’action du roman se passe en partie en Transylvanie, et c’est ce roman en particulier qui a défini la croyance populaire des vampires habitant dans cette région.
Nous avons évoqué les origines et ce qui a fait le succès des mythes vampiriques, pour conclure nous dirons qu’au XXème et XXIème siècles, ce thème reste largement présent en littérature, et aussi au cinéma. Citons par exemple la saga de films Twilight, et en série de romans, Les Chroniques des Vampires d’Anne Rice, tous largement populaires et qui ont adopté leur propre vision du vampire. Il semble que cette « mode » ne soit pas prête de s’arrêter.
Sources: -Jarrot, Sabine. Le vampire dans la littérature du XIXème au XXème siècle. Editions L’Harmattan, 1999.
-Hadeh, Maya. “Mythologie De La Chauve-Souris: Le Vampire Et Ses Avatars Chez Baudelaire Et Barbey D’Aurevilly ». French Forum, vol.33, no. 1/2, 2008, pp. 37-52