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Lieux et cinéma: le pont de Brooklyn, un new-yorkais très célèbre

« Ici on construit des ponts, pas des murs » Vous vous rappelez cette punchline de London Breed, président du conseil de San Francisco, en réponse aux premiers actes de la politique migratoire du grand blond ? Les ponts marquent le territoire et l’espace en tendant les bras, quand on ne tiendrait pas dix minutes en le faisant: aux États-Unis les grands câblés se font même rouler sur le dos depuis plus d’un siècle. Retour sur la vie cinématographique d’un des plus connus d’entre eux, le pont de Brooklyn.

Brooklyn, ça sonne pour un touriste dans la grande pomme. On va le faire souvent parmi les premiers spots, pour les premières photos, pour marcher là où des personnages ont marché. Le quartier, devenu aujourd’hui DUMBO, jusqu’au Manhattan Bridge est devenu très bobo mais était en 1867 une vraie banlieue prolo qui terrorisait les New-yorkais. Nombreux venaient se plaindre de l’afflux de brigands fraîchement immigrés, ou dans leur esprit d’immigrés fraîchement brigands, si cette folie venait à être érigée. Manque de bol, John Augustus Roebling va au bout de ses idées, pas du chantier (il meurt avant l’inauguration de 1883, alerte biopic) et après un premier échec 20 ans plus tôt il lance la construction d’un futur décor de cinéma à ciel ouvert en 1867. Gangs of New York (M. Scorsese, 2003) c’est l’époque où dans le cahier des charges de chaque chantier est tacitement inclus un nombre de morts à ne pas dépasser. 27 pour un gros amas d’acier où passent 1800 voitures et 150 000 personnes par jour, selon cet article c’est tout de même quelque chose.

Marqueur historique incontournable, il est l’équivalent des Twin Towers du premier âge New-yorkais. Il était une fois l’Amérique (S. Leone, 1984) puis Scorsese le sacralisent comme pilier de la construction de la nation, quand le cinéma indépendant arty le place dans le décor. Brookyn village, Brooklyn Yiddish, Brooklyn tout ce vous voulez, la structure décore de ses brins d’acier les arrières-plans, c’est un géant de fer tapis dans l’ombre. Si aujourd’hui vous pouvez déguster des cafés latte et des burgers veggies sous la grosse bête, c’est aussi parce sous les rivets, une ville respire et que tous veulent passer ici, pour flâner, drapés dans une mélancolie contemplative, comme dans Manhattan (W. Allen, 1979). Regarder les voitures, les cyclistes râleurs (et très rapides) passer tambour battant d’un bord à l’autre, c’est accepter avec plaisir d’être mis de côté, d’être quelqu’un qui refuse d’être acteur pour mieux se laisser porter et contaminer par l’énergie de ceux qui sont au-dessus des ponts et les traversent. Faites gaffe, c’est souvent bouchonné et attaqué par des dragons géants. Godzilla (R. Emmerich, 1998) s’emmêle dans ses câbles, alors que dans Cloverfield, le nouveau-né de 150m de haut le détruit irrémédiablement.

Les super-héros y font des tournées promo, c’est sûr, de Batman aux Avengers en passant par Spider-Man, le local de l’étape. Pour lui, il y a toujours une occasion de le défendre, quand dans le monde parallèle de Gotham, la chauve-souris masquée doit affronter sa destruction. Bane coupe littéralement les ponts dans le dernier Batman de Nolan, et c’est une image très forte construisant un des plus puissants antagonistes d’un héros à cape.

Traversé par les migrants fuyant les famines, les guerres et la misère, squatté par les héros intellos méditant entre deux âges en se penchant dans le vide, détruit encore dans Je suis une légende (F. Lawrence, 2007), dans une scène très coûteuse et pompeuse pour apporter du corps à un film post-apo un peu vide, le pont de Brooklyn, c’est juste un pont et tous les ponts à la fois. C’est un lieu de pèlerinage, percé de rivets rappelant qu’il est plus vieux que le Titanic, mais pas encore assez pour arrêter ces conneries. Il sera encore sur pas mal d’affiches, dans des tonnes de scènes et acceptera vos selfies quand vous viendrez à votre tour lui taper sur l’épaule, parce que, « tu sais mec, tu me rappelles tel film… » Proche par l’écran, loin par la géographie, qui reste assez premier degré sur les kilomètres à parcourir, il restera légendaire tant qu’il ne deviendra pas un pont trop loin. Mais ça, c’est une autre histoire.