Derrière l’image – fausse – d’une série kitsch et ringarde, Buffy contre les vampires a atteint un statut culte. Par un parti pris résolument féministe et une approche métaphorique du surnaturel, la série de Joss Whedon explore les angoisses existentielles et les problématiques contemporaines. Dans le cadre de notre cycle sur les vampires, on s’intéresse à ce que représentent vraiment les démons dans la série. Méfiez-vous des apparences.
Les notes de guitare démarrent, la présentation des personnages défile et le titre aguisé s’affiche sur l’écran. Buffy Summer, adolescente de 15 ans, est prête à casser du vampire. L’histoire est à priori simple : une jeune américaine emménage à Sunnydale avec sa mère. Elle découvre que son nouveau lycée est situé sous une porte de l’enfer. La ville est peuplée de vampires et de démons en tous genres. Et comme rien n’est jamais simple, Buffy est la Tueuse. Elle sera celle, tout le long des sept saisons, à devoir combattre le Mal sous toutes les formes qu’il est capable de prendre. Et c’est sur les formes que peut prendre le mal que nous allons nous intéresser. Pour mieux comprendre Buffy contre les vampires, il faut d’abord contextualiser la période dans laquelle l’œuvre est sortie. Après un téléfilm raté avec une autre équipe d’acteurs, les aventures de Buffy sont adaptées en série par Joss Whedon en 1997. Le cinéma américain adolescent est alors en train de conclure une longue période de slashers et de films horrifiques. De Vendredi 13 à Souviens-toi de l’été dernier, des groupes d’adolescents affrontent depuis près de quinze ans le mal avant d’être décimés un par un. Dans chacun de ces films, on retrouve des archétypes dont celui de la bimbo écervelée qui n’a pour action que de courir dans le mauvais sens avant de se faire tuer. Un cliché depuis largement moqué comme dans Scream (1996) de Wes Craven ou la franchise parodique Scary Movie. Sarah Michelle Gellar, à la fois dans Scream 2 et Souviens-toi de l’été dernier, devenait le choix logique pour incarner l’héroïne Buffy. Le personnage naît d’abord dans cet élan-là. L’habituelle demoiselle en détresse des films d’horreur devient le personnage le plus puissant de la série. Ce postulat s’effectue dès le premier épisode où l’on découvre une jeune femme apeurée qui est en réalité une vampire sur le point de dévorer son copain. Buffy contre les vampires effectue d’abord une subversion des rôles, inversant les positions de proies et prédateurs usuelles du genre. L’entièreté de la série est basée sur la métaphore. Les vampires viennent là pour représenter la notion de prédation. Ils sont des créatures hideuses, majoritairement des hommes, qui profitent de la faiblesse des habitants de Summerdale pour mieux les dévorer. Utiliser la figure de l’adolescente comme arme létale pour ces monstres s’inscrit dans une démarche féministe, où les apparences sont trompeuses à une époque où les femmes n’apparaissaient souvent que comme des victimes faciles.
Faux démons, vrais problèmes
En France, la série bénéficie malheureusement d’une image assez ringarde et kitsch. Il est vrai que la première saison contient son lot de moments limites. Mais très vite la série développe une seconde lecture essentielle à sa compréhension et son appréciation. Durant les trois premières saisons, les aventures de Buffy et sa troupe – le scooby-gang – (Michelle Gellar jouera le rôle de Daphné quelques années plus tard) se déroulent dans un lycée. L’établissement scolaire est situé sous la bouche de l’enfer. Vous l’aurez compris, le lycée, c’est l’enfer. A partir de là, chaque épisode va s’intéresser à des angoisses et des problématiques d’adolescents sous l’angle d’un démon. Par exemple, l’épisode 6 de la saison 1 s’intéresse au harcèlement scolaire. Plusieurs lycéens se retrouvent sous l’influence d’une entité surnaturelle et terrorisent le lycée. L’influence est aussi métaphorique et désigne la pression sociale qu’on subit au lycée. Dans l’épisode 8, Willow se retrouve face au démon Molloch après avoir conversé en ligne avec quelqu’un qu’elle imaginait être le petit copain idéal. L’une des plus grandes forces de la série a été d’avoir évolué avec ses spectateurs. Les démons et vampires devenant métaphores de bien d’autres sujets au fur-et-à-mesure que le Scooby Gang quitte le lycée, entre à l’université ou dans la vie active. Dans la saison 4, Whedon propose un épisode quasiment muet où des créatures cadavériques, dignes du Slenderman, ont accaparé le pouvoir de parole de toute la ville. L’épisode est une prouesse narrative et expose l’incapacité à communiquer de nos sociétés occidentales et individualisées. Dans la saison 6, l’épisode Fast-Food vient dénoncer les conditions de travail atroces des employés dans les fast-food américains ainsi que les produits utilisés, affreux pour la santé. Tout l’arc narratif de la saison 6 autour de Willow décrit une descente dans la drogue jusqu’au développement d’un comportement littéralement destructeur. Les exemples sont nombreux et viennent à chaque fois attester du côté avant-gardiste de la série mais aussi de son rapport aux figures démoniaques.
Vampires en toute intimité
Au milieu des défis que Buffy doit affronter à chaque épisode, il y a plus largement les différents vampires qui entourent l’héroïne. Si les créatures à crocs sont de la chair facile à battre pour Buffy, elle va aussi vivre d’intenses relations avec certains. Il y a son premier amour : Angel incarné par David Boreanaz. Dans la mythologie de la série, Angel est un des vampires les plus célèbres et puissants. Buffy et lui tombent rapidement amoureux, malgré la nature vampirique d’Angel. La complexité des rapports sentimentaux et érotiques est mise en avant alors que le rôle de Buffy est justement de lutter contre celle dont elle s’éprend. Le sujet de la première fois est abordé quand Angel et Buffy couchent ensemble. Mais Angel ayant vécu un moment de pur bonheur se transforme en Angelus, une créature immonde et terrifiante. Cela catalyse les angoisses des premiers rapports sexuels où la fille a peur d’avoir une relation importante pour elle mais inconséquente pour le partenaire qui révèle son vrai visage après avoir eu ce qu’il voulait. Quand Buffy se bat contre les vampires, elle se bat contre les hommes. Mais dans la série, les hommes ne forment pas une entité indivisible et l’amour de Buffy pour certains vampires apportent de la nuance et de la complexité entre les interactions. Parce que comme dit plus haut, Buffy est la tueuse, l’élue. Elle est le personnage au dessus des clichés et des archétypes. Dans Buffy, aucun personnage n’est prisonnier de sa condition. Les vampires non plus. Dans la saison 2, le personnage culte de Spike fait son apparition. Affublé d’un blouson en cuir et de cheveux blonds peroxydés, Spike se veut être la figure cool et rock du vampire, a contrario de l’âme tourmentée qu’incarne Angel. Tout au long de la série, Buffy et Spike joueront au chat et à la souris bien que le vampire souffre de cette relation impossible. Sa condition de monstre le consume et fait de Buffy, un amour qu’il ne peut se permettre. Dans l’épisode musical, il déclarera sa passion pour elle en chanson. Il est un mort damné qui aime une vivante destinée à le tuer. Malgré les actes odieux qu’il va commettre, dont une tentative de viol, Buffy, magnanime, va lui offrir une rédemption. Dans un dernier sacrifice, le démon disparaît comme un saint. Postulat de départ de la série, tous les archétypes finissent par être déconstruits pour le meilleur. Après sept saisons, Buffy finira par ne plus combattre les vampires mais par les sauver.
Buffy contre les vampires : extrait