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Wolf and Sheep, un film de Shahrbanoo Sadat : Critique

La jeune Shahrbanoo Sadat, en nous immergeant dans ses propres souvenirs d’enfance via un habile mélange de réalisme intimiste et de poésie, apparait comme le renouveau du cinéma afghan.

Synopsis : Dans les régions montagneuses du nord de l’Afghanistan, un petit village vit à l’écart du monde. Les anciens relaient les légendes ancestrales et y font la loi, imposant notamment aux enfants de ne pas fréquenter le sexe opposé. Parmi les jeunes filles, Sediqa est mise à l’écart et victime de railleries. Elle sympathise alors avec Qodrat, un garçon de son âge.

Chroniques arides

Le jour, le loup menace les troupeaux de chèvres ; la nuit, c’est au tour de la sorcière verte de hanter les montagnes du Cachemire. Facile de comprendre que les habitants du village de bergers vivent dans la peur, et que l’autorité religieuse et patriarcale des anciens ne soit à aucun moment remise en cause. Privés d’électricité et d’eau courante, chacun vaque sagement à ses occupations. D’ailleurs, si les garçons s’exercent à la fronde, c’est justement pour chasser ce fameux loup, que l’on ne verra pourtant (presque) jamais. Mais, pour eux, la tradition rend inenvisageable le rapprochement avec ces filles qui pourtant partagent leur zone de jeu, et ce jusqu’à ce que leurs parents ne décident de les marier. A travers les yeux de ces enfants, on suit donc le quotidien austère de ces agriculteurs du Bâmiyân. La réalisation est signée par une femme qui a grandi parmi eux avant de rejoindre la capitale, difficile alors de douter de la véracité de cette peinture montagnarde.

Du fait de leur prohibition, les rapports homme/femmes sont compromis mais restent malgré tout au cœur de toutes les conversations. Le poids des ragots sclérose tout autant les relations au sein de cette communauté hazâra qu’il peut le faire sur nos chers réseaux sociaux. Ce sont d’ailleurs ces on-dits diffamants qui font de Qodrat et Sediqa des marginaux. Le caractère cru des conversations que tiennent aussi bien les jeunes que les adultes brise le cliché de ce que l’on associe à des musulmans obscurantistes peu au fait des choses de la chair. Et pourtant, les règles sont strictes, et rendent maladroits ces propos graveleux, source d’un décalage tantôt drôle, tantôt méprisable. L’amitié naissante entre les deux enfants doit se faire loin des yeux de leurs camarades, comme le serait une histoire d’amour jugée contre-nature. Et pourtant, il ne sera, entre eux, question que d’une affection  dans ce qu’elle peut avoir de plus platonique. C’est cette naïveté au regard de l’interdit transgressé qui va rendre si attendrissantes les scènes réunissant les deux jeunes héros, que la réalisatrice admet être son alter-égo, elle-même ayant autrefois été victime de moqueries humiliantes de la part des autres filles.

Mais au village, on ne parle pas que de mariages arrangés et d’adultère. Le Cachemire est aussi une terre de légendes. Des siècles de tradition orale qui arrivent jusqu’aux oreilles de nos jeunes protagonistes. Le parti-pris de calquer la mise en scène sur leur regard innocent démontre son jusqu’au-boutisme lorsque, au détour de quelques scènes nocturnes, on croise cette fameuse Sorcière Verte, tout droit sortie des plus effrayants contes locaux. Cette rupture franche avec le naturalisme en vigueur dans l’ensemble du film peut choquer, mais n’est finalement que la marque de la volonté de la réalisatrice de rester fidèle aux images qu’elle a gardé de son enfance. Le processus est utilisé de manière plus subtile encore dans la scène où l’un des enfant-berger, accusé d’une douloureuse maladresse, se cache de son père et que l’on voit, à travers ses yeux, ce fameux loup, catalyseur de toutes ses peurs. Cette imagerie enfantine s’ajoute ainsi au contenu des dialogues les plus pudibonds pour exacerber l’universalité de ce qui est dit de ces agriculteurs dont le mode de vie parait pourtant anachronique.

La rugosité du dispositif, limitant souvent l’observation à un certain réalisme documentaire, a pour conséquence directe que le scénario en lui-même se révèle finalement bien pauvre. Il est évidemment passionnant de découvrir les us et coutumes de ces hommes et femmes dont l’unique richesse est leur cheptel de chèvres et l’unique façon de l’afficher est d’en exposer le crottin. Pourtant, le spectateur devra se contenter, comme seul et unique enjeu dramatique, de cette sympathie clandestine entre deux gamins. Wolf and Sheep n’en reste pas moins plein de moments de vie que l’on se plait à partager. Cette si délicate harmonie pastorale va tout de même se maintenir sous nos yeux jusqu’à cette scène de fin, une brutale mais inévitable incursion du monde extérieur dans cette petite communauté repliée sur elle-même qui en vient à remettre en question l’identité des loups et des moutons annoncés par le titre.

Wolf and Sheep : Bande-annonce (VOSTA)

Wolf and Sheep : Fiche techniquewolf-and-sheep-affiche

Réalisation : Shahrbanoo Sadat
Scénario : Shahrbanoo Sadat, Anwar Hashimi
Interprétation: Ali Khan Ataee, Amina Musavi, Masuma Hussaini, Qodratollah Qadiri, Sahar Karimi, Sediqa Rasuli
Image : Virginie Surdej
Son : Sigrid DPA Jensen, Thomas Jæger, Thomas Arent
Montage :  Alexandra Strauss
Production : Katja Adomeit
Distributeur : Pretty Pictures
Festival : Quinzaine des Réalisateurs 2016
Genre : Drame
Durée : 86 minutes
Date de sortie : 30 novembre 2016

Afghanistan, Danemark, France – 2016

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