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True Mothers, de Naomi Kawase : une œuvre trop personnelle ?

Cinéaste des relations humaines, se nourrissant régulièrement de son expérience personnelle et cultivant le mélange entre fiction et documentaire, la Japonaise Naomi Kawase nous revient cette année avec un drame sur deux destins reliés par le thème de l’adoption. Est-ce l’absence de recul par rapport à ce récit qui résonne intimement qui explique les faiblesses du film ? Maniériste et lacrymal à l’excès, True Mothers (Asa gu kuru) prend le spectateur par la main et emprunte pendant plus de deux longues heures des chemins mélodramatiques usés. La sincérité et la sensibilité habituelles de la réalisatrice ont cette fois accouché d’une œuvre terriblement gentillette et fade. Une surprise doublée d’une déception. 

Alors que Naomi Kawase tourne en ce moment même le film officiel des Jeux Olympiques d’été de Tokyo – dans le sillage prestigieux de certains de ses compatriotes tels que Kon Ichikawa (1964) et Masahiro Shinoda (1972) –, son dernier opus de fiction sort dans les salles françaises. A la célébration grandiose du sport à l’occasion d’un événement exposant le Japon au regard du monde entier le temps de quelques semaines, répond par contraste cette œuvre ô combien intime. True Mothers aborde en effet l’adoption, un sujet très personnel pour la cinéaste, elle aussi élevée par des parents adoptifs (son grand-oncle et sa grand-tante). Par le passé, Kawase a d’ailleurs déjà dédié un documentaire à la recherche de son père biologique (Embracing, 1992) et un autre à la femme qui l’a élevée (Katatsumori, 1994). Elle revient donc aujourd’hui à cette quête identitaire qui l’a tant marquée via l’adaptation d’un roman publié en 2015 par Mizuki Tsujimura.

Le récit s’intéresse alternativement à un couple formé de Satoko (Hiromi Nagasaku) et Kiyokazu (Arata Iura) qui, ne pouvant avoir d’enfant, s’est décidé à en adopter un, et à la fille-mère qui a mis au monde cet enfant avant de le céder au couple via une association spécialisée. Débutant au temps présent, le film entame de longs flashbacks au moment précis où Satoko reçoit un jour un coup de fil mystérieux d’une femme prétendant être la mère biologique de son fils Asato (Reo Satō) et exigeant de l’argent en échange de son silence. Comme pour déjouer la tentation du spectateur de juger trop vite la situation et les personnages, la cinéaste lui propose de dérouler le fil de leur passé. Hélas, ce choix narratif prend la forme d’un premier retour dans le temps lénifiant et beaucoup trop long. Les tribulations d’un couple ne pouvant avoir d’enfant biologique (Kiyozaku souffre d’un problème de fertilité) ont été vues mille fois au cinéma, et Naomi Kawase n’y ajoute strictement aucun élément original : la déception et la tristesse, le mari qui culpabilise et qui propose à son épouse de divorcer, l’acceptation, la découverte d’une société d’adoption qui vient en aide aux très jeunes mères souhaitant se séparer de leur bébé, et finalement le couple qui franchit le pas. Ajoutez-y un ton larmoyant, une bande-son gnangnan et une sur-dramatisation permanente, et vous avez l’impression de regarder un mélodrame des années 40, une époque où ce genre de situations étaient encore neuves au cinéma. Cette demi-heure péniblement consacrée à ce qui a amené le couple à adopter un enfant, Naomi Kawase aurait pu la supprimer entièrement au montage. Le spectateur n’en avait nullement besoin pour comprendre l’intrigue, et la mièvrerie générale condamne d’emblée le film.

Le second long flash-back, consacré à la fille-mère Hikari (Aju Makita), redresse légèrement la barre car elle expose une situation moins rabâchée. Il n’empêche qu’entre maniérisme formel appuyé (surexposition, gros plans sur les visages, détails de la nature), musique de salon de massage et larmes omniprésentes (rarement a-t-on vu des gens pleurer autant dans un film japonais !), True Mothers ne soulève pas vraiment l’enthousiasme. Le pire est qu’une fois arrivé dans la dernière partie de l’œuvre, on se rend compte que Naomi Kawase a structuré celle-ci entièrement autour de ces flash-backs mous du genou. Tout le reste n’est qu’accessoire, ce qui donne plusieurs éléments narratifs bâclés. Ainsi, lorsque le petit Asato est accusé d’avoir poussé et blessé un copain à l’école, ce fait provoque un mini-drame pour sa mère adoptive, qui refuse d’abord de croire en la culpabilité de son fils puis culpabilise elle-même d’avoir douté brièvement de lui. Ce fait n’est pas anodin dans le film, et pourtant on n’en comprendra jamais l’utilité – si ce n’est d’exposer le sentiment de culpabilité d’une mère qui se demande si elle aurait mis Asato en doute s’il avait été son fils naturel. Idem en ce qui concerne la confrontation entre parents adoptifs et mère biologique, annoncée au début du film avec une promesse de suspense. Cette confrontation sera en réalité rapidement expédiée, le soufflé dramatique retombant d’un coup. Ainsi s’achève notre dernier espoir de voir le film se clôturer sur une note sinon inattendue, du moins un tant soit peu originale. En lieu et place, nous avons droit à une énième scène mélodramatique avec violons et chaudes larmes…

Si tout n’est pas à jeter dans le film et si Naomi Kawase a conservé sa capacité à saisir les émotions humaines, True Mothers n’atteint jamais les sommets récents des Délices de Tokyo (2015), une œuvre autrement plus touchante. Dérouler une histoire aussi banale sur 140 minutes, en jouant aussi lourdement sur la corde sensible (ce jugement est forcément subjectif, mais le film ne nous a jamais émus), était tout simplement une mission impossible. True Mothers est une œuvre sans aspérités, qui paraît terriblement datée et qui voit la cinéaste tomber, sur le plan formel, dans une caricature d’elle-même. Certains artistes parviennent à se sublimer en se servant de leurs épreuves intimes. Dans le cas de ce film, on se dit que le caractère personnel du sujet a sans doute empêché Naomi Kawase de prendre suffisamment de recul.

Synopsis : Satoko et son mari Kiyokazu, un jeune couple n’arrivant pas à avoir un enfant, choisissent d’en adopter un. Six ans après leur adoption d’un petit garçon, ils reçoivent un appel d’une femme qui annonce être la mère biologique de l’enfant et qui cherche à leur extorquer de l’argent.

True Mothers : Bande-annonce

True Mothers : Fiche technique

Titre original : Asa ga kuru
Réalisatrice : Naomi Kawase
Scénario : Naomi Kawase et Izumi Takahashi (d’après le roman de Mizuki Tsujimura (2015))
Interprétation : Hiromi Nagasaku (Satoko Kurihara), Arata Iura (Kiyokazu Kurihara), Aju Makita (Hikari Katakura), Miyoko Asada (Shizue Asami)
Photographie : Yûta Tsukinaga
Montage : Tina Baz et Yôichi Shibuya
Musique : Akira Kosemura et An Ton That
Producteur : Yumiko Takebe
Durée : 140 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 28 juillet 2021
Japon – 2020

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