critique-the-dirt-jeff-tremaine

The Dirt de Jeff Tremaine : Heavy Metal Jackass

Si la devise Sex, Drugs and Rock’N’Roll a depuis toujours accompagné les rockstars, aucun groupe n’a aussi bien appliqué ce mode de vie que Mötley Crüe. Après avoir accouché d’un récit ahurissant dans leur bouquin The Dirt, la vie et l’œuvre de la bande de Nikki Sixx se voient désormais transposées à l’écran pour Netflix. L’occasion de revenir sur les frasques du groupe le plus décadent du heavy metal.

Alors que les biopics musicaux sont plus qu’à la mode ces derniers temps, en témoignent le succès retentissant de Bohemian Rhapsody et la sortie prochaine de Rocketman, Netflix a sorti sur sa plateforme la tant attendue adaptation de la sulfureuse biographie du groupe de Glam Metal, Mötley Crüe. Si le long-métrage consacré à Freddy Mercury a soulevé une polémique certaine vis à vis de la véracité des faits rapportés, l’avantage dans l’entreprise menée par Jeff Tremaine est de pouvoir se baser sur un recueil écrit à 4 voix par les membres du groupe aidés du journaliste Neil Strauss. Paru en 2003, The Dirt s’est très vite imposé comme la biographie rock, un témoignage sidérant, retraçant sans concession la carrière fastueuse en hauts et en bas de la bande à Nikki Sixx. Un véritable trésor à anecdotes toutes plus sordides les unes que les autres, montrant le caractère sans limite des quatre individus. Un terreau des plus fertiles donc pour donner lieu à un vrai shoot d’adrénaline rock lors de son passage à l’écran. Sauf que le résultat sera des plus mitigés.

Derrière le nom de Mötley Crüe se cache quatre jeunes californiens voulant révolutionner le Sunset Strip à l’aide d’une musique encore jamais vue à l’époque. Ce sont Nikki Sixx, jeune fugueur rêvant de devenir une rock star à la basse, Tommy Lee grand dadet habile de ses doigts à la batterie, Mick Mars être taciturne souffrant d’une maladie dégénérative des os à la guitare, et Vince Neil blondinet amateur de groupies au chant. Quatre profils différents qui vont cependant s’unir dans la musique et surtout dans les conneries. Car oui le choix de mettre Jeff Tremaine, ex-membre des Jackass à la réalisation de The Dirt est l’évidence même. Mötley Crüe c’est un peu les Originals Jackass, des jeunes énergumènes qui pensent que la vie de rockstar c’est de se shooter avec tout ce qu’ils trouvent, baiser tout ce qui bouge et saccager tout ce qui peut être saccagé. Jeff Tremaine ne va donc pas se faire prier, et dès l’introduction de ses personnages va donner la mesure du long-métrage. Sexe, drogue et rock’n’roll seront bien de la partie.

Avec un rythme aussi rapide que les chansons du Crüe, Tremaine va, après avoir raconté de façon expéditive les prémices du groupe, nous plonger dans son univers si particulier. Dans la première heure, il va alors se contenter d’enquiller certaines des prouesses les plus fameuses de Tommy Lee et ses potes. On aura bien sûr droit au coup classique des pipes sous la table (qui va être utilisé comme running gag) ou encore cette rencontre marquante avec un Ozzy Osbourne urophile au bord de la piscine. Même si cela permet de faire un tour succin de l’extravagance du groupe, on regrette que certains passages marquants du bouquin n’apparaissent pas. On pense particulièrement à cette séquence où Sixx et Lita Ford assistent à des phénomènes surnaturels ou de la tournée avec Iron Maiden, où Sixx ne va pas manquer de s’amuser avec la femme de Dickinson. Le tout est entrecoupé de moments sur scène où les grands tubes du groupe sont balancés à fond les ballons comme l’inoubliable Shout at the Devil ou encore Looks that Kill. Tremaine essaie d’ailleurs tant bien que mal de respecter l’aspect témoignage du livre en offrant à chaque personnage plusieurs moments où ils se permettent de briser le quatrième mur. Malgré tous ces efforts, l’aspect global ressemble bien plus à un collage où tout s’enchaîne de façon hasardeuse qu’à un véritable récit structuré.

C’est d’ailleurs dans les moments phares de la carrière du groupe que cela pêche le plus. La carrière de Mötley Crüe ayant connu des bas très bas, l’intensité émotionnelle est ici retranscrite de façon assez approximative. On pense notamment à l’accident de Vince Neil ou plus encore la tragédie qui touche sa fille qui est traitée par-dessus la jambe alors que le passage  dans le bouquin était proprement bouleversant. Même la prise de conscience de Nikki Sixx après son passage de l’autre côté est abordé de façon tellement rapide qu’il perd en impact. Ne parlons même pas d’un Mick Mars effacé tout au long du film, et dont la maladie si particulière ne servira au final qu’à caractérisé le personnage sans pleinement la développer. Si la première partie du film consistait en un ride des plus énergiques dans le quotidien du Crüe, la deuxième est des plus décevantes et s’avère bien plus classique dans la gestion de la dramaturgie, donnant lieu à une rédemption des plus faciles. Le film offre une espèce de happy ending en omettant certains faits importants comme les condamnations pour violence domestique de Tommy Lee.

Au final malgré une base solide, Jeff Tremaine peine à transcender son récit et a de la chance de pouvoir se reposer sur son histoire hallucinante. Si les différentes performances sont assez disparates, on retiendra notamment Machine Gun Kelly arrivant à donner vie à un Tommy Lee plus idiot que jamais ou Iwan Rheon capable de rendre terrifiante son interprétation de Mick Mars, les deux autres compères Douglas Booth et Daniel Webber restent en deçà. Loin d’être aussi exaltant qu’un Loup de Wall Street, The Dirt aurait certainement gagné à explorer en profondeur ses personnages, plutôt que d’offrir une combinaison de frasques servant à les peindre comme des rockeurs complètement inconscients. Il réussit cependant à y apporter un certain recul, empêchant The Dirt de se transformer en une apologie d’un mode de vie dangereux, mais même cela est fait de façon bien trop expéditive. Le gros problème réside alors en sa durée assez faible (1h40 en ôtant le générique) et un manque de vision d’auteur pour pleinement rendre hommage à cette histoire de rise and fall. The Dirt reste cependant réjouissant à plusieurs moments, offrant une reconstitution assez fidèle du Los Angeles des années 80 et du monde dans lequel gravitait le groupe. Essai pas tout à fait transformé donc, on en profitera plutôt pour se replonger dans le bouquin pour prendre pleinement conscience des exploits du Crüe tout en les remettant dans un contexte de remise en question plus poignant.

The Dirt : Bande-Annonce

The Dirt : Fiche Technique

Réalisateur : Jeff Tremaine
Scénario : Rich Wilkes, d’après le livre The Dirt de Neil Strauss
Interprétation : Douglas Booth, Iwan Rheon, Colson Baker, Daniel Webber, Pete Davidson, David Costabile
Photographie : Toby Oliver
Montage : Melissa Kent
Producteurs : Allen Kovac, Erik Olsen, Julie Yorn, Rick Yorn
Maison de production : 10th Street Production, LBI Entertainment
Durée : 108 min.
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie : 22 Mars 2019

États-Unis – 2019

Note des lecteurs2 Notes
2.5