A peine le générique arrive que se confirme déjà une évidence : jamais un James Bond n’aura si bien porté son titre. Non content de pouvoir illustrer le retour en fanfare de l’organisation ayant joué bien des tours à l’espion britannique (après plus de 30 de conflits juridiques), Spectre est aussi la preuve que Sam Mendes en a fini avec Bond et avec Craig. La fin. La mort. Telles semblent ainsi être les notions qui infusent jusque dans son ossature même ce Spectre. Car avant que le film ne soit considéré comme étant le 24ème opus de la saga, il est surtout la fin d’une époque, la fin d’une ère.
Une ère qui aura cru bon d’user des 4 longs-métrages de Daniel Craig pour voir James Bond finalement rentrer dans le rang et assumer sa légitimité, pour devenir l’agent du MI6 que l’on connait. 4 films pour redéfinir l’icône, lui donner de l’épaisseur, la déconstruire et la faire renaître. 4 films pour amorcer la normalité dans laquelle l’agent se trouve plongée et finalement rendre légitime l’utilisation du légendaire gunbarrel dès l’entame, parachevant donc d’une traite la mue de l’agent passé d’un salop au cœur de pierre, à l’espion charmeur et blagueur, très typé période Roger Moore.
Une odyssée freudienne dans la droite lignée de Skyfall.
C’est donc un profond élan de normalité qui infuse d’emblée l’œuvre. Le traditionnel gunbarrel servant d’entame et nous voilà déjà plongé dans le bain d’un James Bond, qui semble en premier lieu, très classique. Mais loin d’être rédhibitoire, cette spécificité (obtenue de concert avec la photographie de Hoyte Von Hoytema) sert davantage à montrer que Mendes clôt enfin le reboot initié par Casino Royale et donne (enfin) à voir le premier James Bond de Daniel Craig. Passé les fulgurances visuelles des précédents et une scène post-générique remarquable, puisque lorgnant du coté de Brian de Palma et Alejandro Gonzalez Innaritu pour son plan séquence étonnant, que voilà déjà le générique qui se profile. Sublimé par la voix de Sam Smith, le générique est aussi la preuve qui manquait aux néophytes que Spectre sera interconnecté aux 3 précédents films de la saga. Le Chiffre, Dominic Green, Raoul Silva, trois némésis de l’espion qui se mêlent dans ce générique sombre, ponctué çà et là par des tentacules de pieuvres et moult représentations de poulpes, symbolisant non sans mal, la menace campée par le Spectre.
Fort d’un début supplantant aisément Skyfall par sa maitrise et sa technique, difficile dans un premier temps d’aller à l’encontre du rythme effréné de Mendes. Assumant tantôt des airs de requiem et tantôt de renaissance, la première heure arrive, sans mauvais jeu de mots, à faire fi du spectre de Skyfall qui rode en filigrane de l’œuvre. Morceaux de bravoures ininterrompus, mise en scène verbeuse mais non moins impressionnante, Mendes assure le show et laisse penser que le pari qu’il s’est fixé de dépasser Skyfall, est sur le point de se voir couronné d’un succès. Il faut dire qu’en parallèle d’une mise en scène inspirée et nettement plus humanisée, Mendes n’oublie pas de rendre hommage à l’icône 007. Références abondantes aux anciens films (Vivre et Laisser Mourir pour l’ouverture, Opération Tonnerre pour la réunion romaine du Spectre, Au Service Secret de sa Majesté pour la clinique des Alpes Autrichiennes), humour caractéristique de Q version Desmond Llewelyn, la recette semble suivie à la lettre, quitte à conférer au film une élégance qu’on attendait plus. Et alors que le visage de la némésis campé par un Christoph Waltz tout en décontraction, se dévoile dans la scène la plus réussie, puisque donnant à voir l’illustre organisation malfaisante, que voilà Spectre déjà en train de rencontrer son premier accroc. Empruntant à la dérive orwelienne de notre époque qui voit la recrudescence massive des drones et de la surveillance pour obtenir des informations, le scénario puise malheureusement dans un canevas bien trop balisé pour susciter la moindre surprise. Pire, il accuse d’un énorme coup d’arrêt quand arrive le personnage réduisant à néant toute l’ambition de Mendes : Léa Seydoux.
Pivot de l’intrigue et caution amoureuse de l’agent ténébreux, l’actrice semble dépassée par les évènements quitte à afficher une froideur gênante, puisque mettant à néant toute la flamboyance du film et le quasi érotisme soulevé par cette romance improbable. C’est d’autant plus regrettable de voir son rôle s’accroitre au fur et à mesure du déroulé du film, puisque supplantant le scénario devant par la suite des choses se racoler aux wagons, quitte à afficher des coutures bien trop grossières. Une grossièreté qui aura d’ailleurs pour résultante de rendre la fin très prévisible et d’annuler purement l’effet de surprise sur une intrigue truffée de twists en tout genre. Ce faisant, fort d‘un scénario en demi-teinte, ne reste plus qu’à se pencher sur les acteurs et l’action pour finalement se rendre compte que Mendes, n’aura fait qu’écouter la plèbe. Taxé de préférer l’introspection à l’action dans Skyfall, Mendes se lâche véritablement dans Spectre, arrivant à rendre l’action comme un passage obligé du film, alors que celle de Skyfall trouvait justement une légitimité. Cette erreur de débutant alourdit l’ensemble, rendant donc difficile la compréhension de ce mastodonte de 2h30, qui n’aurait en rien perdu d’efficacité, s’il avait été délesté de 20 bonnes minutes.
Succombant au trop plein d’ambition de son sujet, et terrassé par cette volonté de repousser encore une fois les limites de l’excellence, autant dire Sam Mendes aura su rendre le panache qu’on lui connait pendant la première heure du métrage, pour finalement encaisser un sévère coup d’arrêt sur la deuxième partie, qui si elle ne perd rien en qualité purement technique, voit son scénario tourner en roue libre et s’assumer comme l’ultime bravade de Mendes sur l’univers 007. L’occasion parfaite de constater que la mise en scène sépulcrale de Mendes, lorsque mise en opposition aux impératifs de la saga, ne peut que donner naissance à une mise en scène mécanique, loin de la spontanéité revendiquée par Skyfall.
Synopsis: Un message cryptique venu tout droit de son passé pousse Bond à enquêter sur une sinistre organisation. Alors que M affronte une tempête politique pour que les services secrets puissent continuer à opérer, Bond s’échine à révéler la terrible vérité derrière… le Spectre.
Fiche technique: Spectre
Réalisateur : Sam Mendes
Scénario : John Logan, Robert Wade, Neal Purvis d’après les personnages créés par Ian Fleming
Interprétation : Daniel Craig (James Bond), Christoph Waltz (Franz Oberhauser), Monica Bellucci (Lucia), Léa Seydoux (Madeleine), Dave Bautista (Mr Hinx), Naomie Harris (Moneypenny), Ben Whishaw (Q), Ralph Fiennes (M), Andrew Scott (Denbigh), Rory Kinnear (Tanner), Jasper Christensen (Mr White)…
Bande originale : Thomas Newman
Récompenses : Oscar 2016 de la meilleure chanson Writing’s on the Wall », interprété par Sam Smith
Durée : 150 minutes
Budget : 250 M$
Genre : Action
Date de sortie : 11 novembre 2015
Royaume-Uni – 2015