Once Upon a Time in 1973 : Licorice Pizza

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Faire un teen movie 70’s n’est pas donné à qui veut. Il fallait sans conteste le talent ainsi que l’aisance de l’incontournable Paul Thomas Anderson pour s’y coller et (accessoirement) réussir une œuvre qui à tout d’une (fausse) boutade d’adolescent.

Synopsis : Durant l’été 1973, le jeune Gary Valentine rencontre la belle Alana Kane qu’il est bien décidé à séduire…

« Pizza à la réglisse »

Si je vous dis que le dernier film de Paul Thomas Anderson est un teen movie situé dans les années 1970, vous allez sûrement être surpris. Ce sentiment pourra peut-être même virer à l’étonnement si j’ajoute, à cela, que l’œuvre en question se nomme Licorice Pizza, soit littéralement « Pizza à la réglisse ». Il est vrai que, pour les aficionados de « PTA », cette rapide description a de quoi dérouter. Le neuvième long-métrage du cinéaste (d)étonne quelque peu dans la filmographie plutôt éclectique qu’il a jusqu’ici mise au point.

Tous ses films ou presque mettent en scène l’ascension, puis la chute d’un héros masculin solitaire, prêt à tout pour réussir, et ce, qu’il parle d’une star du cinéma pornographique des années 70 dans Boogie Nights (1997) ou évoque la trajectoire d’un ex-soldat, devenu, après le Seconde Guerre mondiale, le gourou d’une secte dans The Master (2012). Paul Thomas Anderson est un cinéaste caméléon, capable de s’approprier n’importe quel thématique. Avec lui, le moindre détail historique ou imaginé devient une œuvre unique et personnelle, comme en témoigne son dernier film en date, Phantom Thread (2017), incursion dans le redoutable milieu de la mode au début des années 50.

De ce point de vue, Licorice Pizza ne fait pas exception à la règle. Contrairement à ce que le titre laisse présager, l’œuvre est belle et bien marquée par le fer rouge de PTA. Les multiples personnages que l’on retrouve à l’écran rappellent l’aspect choral de Magnolia (1999), de même que l’ambiance 70’s, dans laquelle beigne l’intrigue, renvoie à celle de Inherent Vice (2017). Loin d’être une œuvre mineure, Licorice Pizza apparaît, à bien des égards, comme l’évènement cinématographique de ce début d’année 2022.

Teen movie or not teen movie ?

Si Paul Thomas Anderson fait volontiers appel à des acteurs confirmés tels que Bradley Cooper ou Sean Penn, pour incarner les personnages secondaires, le réalisateur a fait le pari (gagnant) de confier les rôles principaux à des comédien.e.s peu connu.e.s. Mention particulière à Cooper Hoffman et Alana Haim qui interprètent respectivement Gary Valentine et Alana Kane, les deux héros du film. La fraîcheur de leur interprétation participe à la réussite d’une œuvre qui utilise l’intrigue principale – celle d’une histoire d’amour entre deux adolescents que tout semble opposer – comme un catalyseur narratif donnant corps à une représentation alternative de la société américaine des années 70. Paul Thomas Anderson se réapproprie le traditionnel genre du teen movie. On peut, de prime abord, être tenté d’affirmer que le film ne propose rien de nouveau sous le soleil.

En effet, en choisissant de situer son intrigue durant l’été 1973, Paul Thomas Anderson se place paradoxalement à contre-courant de la tendance qui règne actuellement à Hollywood, notamment celle qui consiste à idéaliser un peu (trop) le passé. Licorice Pizza est tout sauf une hagiographie des années Nixon, encore moins l’apologie d’une période supposément bénie pour le 7e art. Bien que ces thématiques ne soient pas absentes, l’intérêt du film se trouve ailleurs. Contre toute attente, le nouveau PTA s’inscrit davantage dans le droite fil de Rose Bonbon (1985) que de Once Upon a Time in Hollywood (2019). Licorice Pizza dresse, en somme, un portrait sans fard de la jeunesse de 1973, en s’affranchissant du sempiternel triptyque « sex, drugs and rock’n’roll ». En parvenant à jongler habilement avec les frontières du teen movie, le film parvient à éviter les poncifs du genre, en même temps qu’il renouvelle la manière de traiter de thématiques éculées au cinéma, telles que l’amour ou l’entrée dans l’âge adulte.

Amour, gloire et rock’n’roll

Licorice Pizza se distingue donc des teen movies classiques par la manière singulière qu’a le réalisateur de parler de l’amour adolescent. De ce point de vue, le film déjoue l’horizon d’attente du public. Paul Thomas Anderson est un cinéaste qui n’a pas peur d’embrasser plusieurs paradoxes à la fois. Non seulement, il fait le pari (réussi) de réinventer le teen movie 2.0, et ce, à partir d’une intrigue ouvertement 70’s, mais il parvient, également, à développer son sujet en évitant justement de l’aborder maladroitement.

Paul Thomas Anderson réitère, en somme, une fois de plus son art du patchwork narratif. En faisant volontiers passer l’intrigue amoureuse au second plan, le cinéaste insère une multitudes de petites histoires qui emmènent le film vers des cimes insoupçonnées. Le film évoque des sujets divers allant d’une entreprise avortée de vente de matelas à eau à la l’homophobie qui règne dans la politique. Ces différents arcs narratifs permettent au cinéaste de donner à voir un panorama de la société américaine sans une once de naïveté ou d’angélisme niais.

L’histoire entre Gary Valentine et Alana Haim a tout d’une sorte de conte de fée moderne. Il est évident que l’ambiance du film et la B.O renforcent cette sensation. La vallée de San Francisco, où se déroule la majeure partie du film, est aussi bien magnifiée par la musique rock de Johnny Greenwood, inspirée du hit parade de l’époque, que par le magnifique travail sur la lumière de Michel Bauman. Cette atmosphère « rose bonbon » constitue une sorte de bulle enchantée qui participe au plaisir éprouvé, lorsque l’on découvre le film. Cette atmosphère presque surannée rend compte de l’insouciance des personnages. Ces derniers vivent, pour la plupart, le temps des premières fois. Si l’intrigue regorge de nombreux rebondissements, le cinéaste évite, néanmoins, de proposer une vision « simpliste » de l’amour adolescent. Aux héros à la beauté de papier glacé, Licorice Pizza préfère des personnages hauts en couleur qui s’écartent volontiers des canons habituels.

Loin d’être une blague d’adolescent, Licorice Pizza s’impose comme à coup sûr comme le nouveau totem générationnel de notre époque. Si à l’heure qu’il, le film n’a reçu que deux nominations aux Golden Globes, dans la catégorie meilleur.e acteur.trice dans une comédie musicale, gageons que l’œuvre de Paul Thomas Anderson attirera l’attention du public.

Bande-annonce – Licorice Pizza

Fiche techniqueLicorice Pizza

Réalisation et scénario : Paul Thomas Anderson
Société de production : Metro Goldwyn Mayer, Focus Features, Bron et Ghoulardi Film Company
Distribution : United Artists Releasing (États-Unis), Universal Pictures International France (France)
Interprétation : Cooper Hoffman (Gary Valentine), Alana Haim (Alana Kane), Sean Penn (Jack Holden), Bradley Cooper (Jon Peters)
Durée : 2h13
Genre : comédie dramatique
Sortie : 5 janvier 2022
Pays : États-Unis

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