Rares sont les films d’horreurs qui parviennent à faire l’unanimité. L’Exorciste, réalisé par le regretté William Friedkin en 1973, entre sans aucun doute dans cette catégorie. Véritable monument du cinéma, il était d’autant plus inquiétant d’apprendre que la désormais célèbre société de production Blumhouse ambitionnait de lui offrir une suite directe. Voulant rendre hommage tout en modernisant la formule, David Gordon Green accouche d’un film très hétérogène et frustrant, ne sachant jamais sur quel pied danser.
Synopsis : Victor Fielding a perdu sa femme encore enceinte lors d’un tremblement de terre en Haiti 12 ans plus tôt. Depuis, il élève seul leur fille Angela qui a vu le jour malgré cette terrible catastrophe. Mais quand Angela et son amie Katherine, disparaissent dans les bois, pour n’en revenir que trois jours plus tard totalement amnésiques, une série d’évènements plus atroces les uns que les autres va confronter Victor à la quintessence du mal.
Sur le papier, David Gordon Green semblait être l’homme providentiel pour ce type de projet. Auréolé du succès de son Halloween en 2018, auquel il donnera deux suites, Halloween Kills en 2021 et Halloween Ends en 2022, le cinéaste a prouvé avoir les compétences pour ressusciter une franchise horrifique tombée depuis en désuétude. Si ces deux suites n’ont pas reçu l’accueil critique espéré, elles n’en demeurent pas moins des succès financiers, de quoi donc largement contenter le studio. C’est d’ailleurs toute la stratégie de la maison Blumhouse: produire beaucoup de films à fort potentiel financier pour de petits budgets, assurant ainsi une forte rentabilité sur le moyen et court terme. L’Exorciste : Devotion fait cependant figure d’exception, avec un budget de quarante millions de dollars, soit quatre fois le budget habituel pour ce type de production. Mais pour quel résultat ?
Souvent imité…
Difficile de ne pas comprendre le message dès la scène d’introduction. Un pays exotique, des chiens qui se battent, des rituels religieux bref, tout est fait pour évoquer l’ouverture du long-métrage originel. Le premier acte est prometteur. David G. Green emboîte le pas de son illustre aîné en s’appuyant sur la thématique de la relation parent-enfant avec simplicité et sincérité. Le récit prend son temps pour instaurer son cadre spatio-temporel, et profite de dialogues soignés pour impliquer le spectateur dès les premières minutes. C’était d’ailleurs une des nombreuses forces du film de Friedkin, qui dépeignait avec réalisme et justesse sa situation initiale, crédibilisant par la suite la montée en puissance de l’horreur. Force est de constater que, sur ce point, le cinéaste américain s’en sort avec les honneurs.
Difficile ensuite de repenser à L’Exorciste sans avoir ce thème iconique en tête. Viscérale, entêtante et d’une inquiétante simplicité, cette mélodie était d’autant plus efficace qu’elle n’était utilisée qu’à de très rares occasions. Encore une fois Green reproduit le schéma vu dans Halloween, et ne succombe pas à la tentation d’abuser du légendaire thème de Mike Oldfield pour se mettre les fanatiques du premier film dans la poche. Constamment amenée au bon moment, on ne boudera pas notre plaisir de réentendre cet air reconnaissable entre mille dans une salle de cinéma. Dans un souci de légitimité, le retour des icônes Ellen Burstyn et Linda Blair dans leurs rôles respectifs de Chris et Regan McNeil était impératif afin d’assurer une continuité avec l’œuvre de Friedkin. Sans toutefois être placés au cœur de l’intrigue de cet opus, Dévotion étant le premier acte d’une trilogie à venir, leurs personnages apportent une aura mystique indispensable qui occupera, à n’en pas douter, une place capitale dans les suites à venir.
… jamais égalé
Si tout ou presque est fait pour évoquer L’Exorciste premier du nom, force est de constater que tout ou presque devient problématique une fois l’exposition derrière nous.
Devotion souffre de gros problèmes d’écriture. La promesse d’un double exorcisme s’annonçait alléchante sur le papier, mais David Green et Peter Sattler, scénaristes du projet, n’arrivent tout simplement pas à faire coexister tous leurs personnages. Le rythme est le talon d’Achille du long-métrage. Après un incipit qui prenait son temps, péripéties et jumpscares s’enchaînent à une vitesse incompréhensible et surtout très peu crédible. S’il fallait presque une heure au démon prenant possession de Regan dans le film de 1973 pour s’établir complètement, ici il ne faudra compter que quelques minutes, une fois les deux jeunes filles confrontées à l’entité démoniaque. Là où Friedkin commence dans le réel, bascule dans l’étrange et finit dans l’horreur, Green ne s’embarrasse pas de cette étape intermédiaire, et rend ainsi son développement narratif bien moins efficace. Un développement narratif qui sera d’ailleurs particulièrement hétérogène. Bien que celle- ci traverse pourtant les mêmes épreuves que notre personnage principal, on se désintéresse complètement de la seconde famille dont les membres n’auront droit à aucun développement. Une grossière erreur, l’intensité du dernier acte reposant sur un dilemme qui obligera nos héros à choisir un des deux enfants, le choix du spectateur se portera alors sans aucun doute sur le seul des deux à avoir eu un tant soit peu de dialogues. Il en va de même pour la quasi-totalité des personnages secondaires et tertiaires, qui apparaissent et disparaissent selon les besoins de l’intrigue et non de la cohérence. Tout ce beau monde se retrouvera réunis pour un climax pauvre en tension horrifique, qui additionnera références maladroites, décor insipide (difficile de faire moins ambitieux qu’un salon et deux chaises) empêchant la réalisation de pouvoir prendre de l’ampleur, et dialogues d’un cliché consommé, le tout baigné dans une lumière bleu-orange sans saveur. Tout est pensé d’un point de vue pratique et non esthétique, montrant les limites de la stratégie de Blumhouse: faire au mieux, avec le minimum.
L’Exorciste : Dévotion avait toutes les cartes en main pour réussir son pari. Un réalisateur expérimenté et habitué du genre, des icônes de retour dans leurs rôles et une franchise mondialement connue. Le Réveil de la Force en soit témoin, ces éléments ne suffisent cependant pas à faire un bon film. Dépourvu de réels moments d’horreur, c’est avec un immense sentiment de frustration que l’on ressort de la salle de cinéma, tant on aurait aimé que tout le film soit d’aussi bonne facture que ses vingt premières minutes. Bien qu’il s’agisse de l’ambition affichée, David Gordon Green se montre incapable de marcher dans les pas du maître Friedkin, tiraillé entre la tentation de reproduire et le besoin de s’émanciper. Dans une période où tout devient franchise, où même l’horreur se “marvelise”, le pire est à craindre pour l’avenir de cette saga qui, au vu du succès financier de cet opus, devrait se voir scarifié de deux nouveaux long-métrages.
Bande-annonce : L’Exorciste – Dévotion
Fiche technique : L’Exorciste – Dévotion
Titre original : The Exorcist : Believer
Réalisation : David Gordon Green
Scénario : David Gordon Green et Peter Sattler
Directeur de la photographie : Michael Simmonds
Montage : Tim Alverson
Décors : Brandon Tonner-Connolly
Costumes : Lizz Wolf, Jenny Eagan
Musique : David Wingo, Amman Abbasi
Casting : Terri Taylor, Sarah Domeier, Ally Conover
Production : Blumhouse Productions
Pays de production : États-Unis
Distribution France : Universal Pictures France
Durée : 1h52
Genre : Épouvante-Horreur
Date de sortie : 11 octobre 2023