La critique de ma camarade lors du dernier festival de Cannes avait noté 4/5 le dernier ovni du belge fantaisiste. A la sortie de la salle, un sentiment d’écœurement, de profonde incompréhension, mais surtout de colère m’habite. Métaphore symbolique du cliché belge ou réelle navrance désespérante ? Réponse.
Pitch : Le film est, d’après le réalisateur, un « conte surréaliste » autour du personnage de Ea (Pili Groyne). Une gamine de douze ans qui a des idées bien arrêtées sur Dieu: « Dieu existe. Il habite à Bruxelles. C’est un salaud. Il est odieux avec sa femme et sa fille. On a beaucoup parlé de son fils, mais très peu de sa fille. Sa fille c’est moi. Je m’appelle Ea et j’ai douze ans. Pour me venger j’ai balancé sur Internet les dates de décès de tout le monde… »
Le point de départ est alléchant. L’annonce prometteuse. C’est avec une bande-annonce (ne vous y fiez jamais, ce n’est jamais l’oeuvre du réalisateur ni de la production, mais de la distribution) détonante, à la fois dérangeante et hilarante que je m’installe dans la salle obscure, pour la dernière séance de ce dimanche soir en province, habitée de 5 pèlerins qui semblent avoir perdu leur chemin.
Passé l’introduction, je suis vite dépassé par un pseudo-humour démiurge qui se joue du contemporain sur une recontextualisation historique (ex: Adam et Eve en plein Bruxelles vidée de sa population, une autruche au rayon fruits et légumes…). J’attends patiemment que vienne l’étincelle. Tandis que la jeune actrice théâtrale hérisse le poil par sa fausse naïveté plus qu’elle n’attire compassion et tendresse, le reste de la distribution défile comme au cirque, emporté par un récit abscons et une photographie précieuse indigeste. Où le cinéaste veut-il nous mener ? Sur quelle pente descend-t-il ?
Les six Évangiles distraient à la manière d’une comptine absurde et nous endorment pour mieux nous bercer d’un message creux sur la foi et le bonheur à deux (dois-je voir le célibat comme une certaine forme d’aliénation, de déclin?). Les différents peintures « arrêts-sur-image » flamandes subliment le vide in-existentialiste. Après insulter les références poétiques, naïves et sensibles d’un Jean-Pierre Jeunet, amoureux de ses personnages, maintenant perverti par le système hollywoodien (mais ceci est un autre débat), Jaco Van Dormael cumule réflexions carambar, descriptifs longuets de personnages creux et sentimentalisme niais. « La vie c’est comme une patinoire, on tombe souvent »… Jaco doit avoir vu Forrest Gump plus de mille fois (tout comme moi). On retrouve Didier De Neck (Toto le héros), Pascal Duquenne (Le Huitième jour), Serge Larivière (Mr. Nobody), mais qu’il est loin le temps de ces trois pépites!
La composition est travaillée, mais la mise en scène guindée vient anéantir tout effort de crédibilité et d’empathie. Certaines séquences sont clipesques et n’apportent absolument rien au récit. Oui Jaco tu as réalisé des clips (Elodie Frégé et Indochine), pas de quoi s’en vanter. L’effet est souligné, appuyé et répété au point de donner la nausée. Le thème d’Aquarium extrait du « Carnaval des Animaux » de Camille Saint Saens (montée des marches cannoises!) et Dance of the Knights de Prokofiev soulèvent l’estomac et titillent notre bile ou le nerf auditif. Ralentis, effets inversés, travelling latéral, flous nets sur une absence de perspective… De plus, les acteurs pourtant très bons sont tirés vers le bas à coup de trop grande fausse pudeur tire-larme et les genres ne sont pas respectés. Benoît Poelvoorde ne cesse de crier (le contraire nous aurait étonné), Yolande Moreau continue de passer pour la ménagère ahurie au regard vitreux, Catherine Deneuve en riche épouse délaissée et François Damiens le sempiternelle dom juan maladroit (La Délicatesse) ou vilain sadique (Dikkenek)… La comédie devient pathétique et le rire jaune. Le fantastique de pacotille n’est même pas assumé jusqu’au bout. Vient le film catastrophe (c’est le cas de le dire), la référence à l’animalus d’Harry Potter, la hache de Nicholson dans Shining, la thématique du transgenre, la cause des sans-papiers, la publicité pour les machines à laver (oui autre secteur bien connu du réalisateur belge), la pédophilie, le voyeurisme, la maltraitance des enfants, le handicap, le mariage contrarié, le terrorisme… Et ce n’est que le début !
Le générique défilant est composé sur de la broderie, hobby de la mère déesse, et élément de résolution sur un humour à la Jacques Tati (doit-on y voir une quelconque cause féministe ?). Le kitsch se rajoute à la longue liste. Autant de productions et co-productions (donc un budget surévalué), de critiques élogieuses et un box office époustouflant (plus de 50 000 la première journée) pour cette masturbation cinématographique et je pèse mes maux. Jaco ressemble physiquement à Luc Besson, doit-on y voir un signe ? « Regardez ce que je sais faire (et mal en plus!) avec tous mes beaux amis« . Preuve que le cinéma condescendant, quelque soit sa nationalité, flirte avec le copinage incestueux et le cirage de pompe (pour ne pas dire autre chose).
Les lumières se rallument et la salle est vide. Ah non, un homme dort au dernier rang. La voix de la raison !
* Pardonne moi Jaco pour cette familiarité (je ne suis qu’à demi sincère, vous l’aurez compris)
** Dans la série, « films à sortir de salle avant la fin » : Les Misérables, the musical… A vous de la compléter !
Le Tout Nouveau Testament : Fiche Technique
Date de sortie : 2 Septembre 2015
Nationalité : Belgique, France, Luxembourg
Réalisation : Jaco Van Dormael
Scénario : Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig
Interprétation : Benoit Poelvoorde (Dieu), Yolande Moreau (Déesse), Catherine Deneuve (l’apôtre Martine),
François Damiens (l’apôtre l’assassin), Pili Groyne (Ea), Serge Larivière (l’apôtre l’obsédé sexuel) …
Musique : An Pierlé
Son : Dominique Warnier
Photographie : Christophe Beaucarne
Décors : Sylvie Olivé
Montage : Hervé De Luze
Production : Jaco Van Dormael (producteur), David Claikens, Jérôme de Béthune, David Grumbach, Philippe Logie, Daniel Marquet, Olivier Rausin, Frank Van Passel, Patrick Vandenbosch, Alex Verbaere et Arlette Zylberberg (co-producteurs).
Sociétés de production : Terra Incognita Films, Climax Films (Belgique), Après le déluge (France), Juliette Films (Luxembourg), Caviar Antwerp (Belgique) …
Sociétés de distribution : Le Pacte
Budget : 8 555 500 € (estimé)
Genre : Comédie, Fantastique …
Durée : 113 minutes