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Le garçon qui dompta le vent, de Chiwetel Ejiofor : un héros qui ne voulait pas en savoir trop

Un jeune malawite dépasse Mac Gyver : il fabrique une éolienne dans son petit village qui permet de pomper de l’eau en profondeur et sauver toute la population de la famine. Coup de chance, c’est inspiré d’une histoire vraie. En route pour un autre film à oscars, Netflix !

Synopsis : Contre toute attente, un jeune Malawite de 13 ans invente un système ingénieux pour sauver sa famille et son village de la famine. Inspiré de l’histoire vraie de William Kamkwamba et adapté de son roman best-seller.

Voilà un film qui sait bien commencer. Un très joli titre, une belle musique, un décor très joliment éclairé, des champs de poussière où des paysans accablés par le soleil récoltent du tabac. Entre les grands plants, un vieil homme tombe, raide mort. Les premières images mettent ensuite en scène par intermittence des danseurs énigmatiques, habillés comme dans un film surréaliste. On entend une mélopée fantomatique qui nous porte comme une feuille sèche soufflée par le vent, loin des racines et du fameux « inspiré d’une histoire vraie »

Enfin, non. Arrêtez-tout, sortez du film, trêve de poésie ! Il y en a marre ! Quoi, de la famine en Afrique ? De la vente du tabac qui provoque des cancers ? De l’orthographe de Malawi ? Non, ça, pas encore… Là, je tiens déjà à m’indigner de ce pistolet braqué sur ma tempe, chargé entre deux guillemets. « Inspiré d’une histoire vraie ». Pan.

Nous avons tous croisé ces films, ces téléfilms, ces œuvres qui apportent très rapidement cet argument massue qui empêche ou suspend toute critique, ou du moins certaines formes. L’histoire vraie, si je singeais un célèbre humoriste, c’est une galère quand on veut critiquer quelque chose. Avec n’importe quelle histoire, vous pouvez directement lancer des taquets, faire des vannes, ça passera toujours, même si vous perdez quelques potes en chemin (en général, pas les meilleurs). L’histoire vraie, il faut l’attaquer par la face nord, en conditions hivernales, avec du bon matos. Derrière ces jolis plans bien éclairés par une équipe technique au top, derrière cette atmosphère séduisante, se cachent donc des vraies personnes. L’histoire vraie, cette célèbre sentence, censée étreindre tout mauvais sentiment, tue les personnages avant l’heure. En réclamant de la vie, la vraie, on sème déjà la mort. Certes, ce sont des créatures de papier, mais je suis prêt désormais à financer une action pour empêcher toute mention de la sorte au début d’un film. Laissez vos personnages devenir des personnes. C’est le seul sens dans lequel ce lien mérite de fonctionner.

Passée cette caution réaliste, le souffle retombe et l’esthétique du film le rapproche bon an mal an des documentaires du National Geographic. C’est beau, très propre, bien trop pour du cinéma. La plupart des plans et le découpage dans son ensemble respirent le démonstratif. Les champs, le petit village africain typique, les boubous et le reste : on voit ainsi plus une reconstitution très carrée, qui limite l’immersion, qu’une réelle volonté d’utiliser la grammaire cinématographique pour nous interpeller. Et cela en devient presque étrange de reprocher à un film d’être trop clair, car c’est là toute la fine frontière avec ce style documentaire qui insuffle progressivement. Très peu de scènes sont vierges de dialogues. De personnages. Chaque seconde paraît capitalisée pour construire une sincère et intéressante reconstitution du drame terrassant cette communauté.

Chiwetel Ejiofor réalise ici son premier film. On a vu cet acteur shakespearien dans  Les fils de l’Homme (A. Cuaron, 2006) , Dirty pretty things (S. Frears, 2003) et plus récemment 12 years a slave  (S. Mc.Queen, 2014), ce dernier résonnant comme l’antinomie de son propre projet. Avant, je me le demandais, maintenant je le sais : il reste encore quelques acteurs qui ne regardent pas les films où ils jouent. Blague à part, le garçon qui dompta le vent est ce type de métrage qu’on pourrait certainement utiliser en classe pour un cours de 5ème sur le développement et les énergies renouvelables, bizarrement peu sur la mondialisation (ce cours-là, c’est en 4ème). Un des autres aspects quelque peu étriqué du script concentre les misères de cette communauté dans un territoire très resserré. Ainsi les logiques internationales qui régentent la désertification de ces terres africaines sont, elles, de surcroît totalement absentes. Pas de multinationales, pas de Netflix de l’agriculture, pas de Monsanto : derrière ces marchés de dupes qui poussent les paysans malawites à lâcher des terres ancestrales, très peu de diplomatie, mais beaucoup de toile de fond. C’est hélas là où resteront les marques culturelles de ce peuple martyrisé : quelques costumes traditionnels pour décorer en arrière-plan.

Le fait est que le film, malgré sa désarmante sincérité, est encore très marqué par un discours très occidental sur le continent africain. Ici, les méchants, s’il en faut, ce sont les chefs d’État corrompus, qui font tabasser n’importe quel contradicteur, les directeurs d’école, qui n’acceptent pas les enfants pauvres ou les pères de famille qui finissent tous par les faire travailler dans les champs. Autant d’accroches du sujet devenues de solides clichés dans ce type de script dramaturgique, mais également des pistes de réflexion manquant les vrais responsables de tous ces maux représentés devant nous. Il n’est pas le seul et hélas pas le dernier, d’autres comme Le dernier roi d’Écosse (K. Macdonald, 2007) s’étaient plantés la-dessus de la même façon.

Derrière ces rappels, un autre fait est à envisager, avec candeur: le cinéaste et scénariste les a peut-être volontairement occultés. Pour mettre en scène le martyr d’un village et lui seul, et le trajet d’un enfant exceptionnel et lui seul. Parce qu’il est allé à l’école, parce qu’il a fabriqué une éolienne avec un vélo et des déchets qui sont versés dans sa cour. Autrement dit une ode à la débrouillardise et à la volonté tout à fait pertinente aujourd’hui, si on oublie temporairement que cette éolienne, véritable totem du film, est érigée par les mêmes déchets livrés en fin de course par les circuits internationaux pour qui la découpe d’arbres est plus rentable que la désertification. Des circuits internationaux, il y en a même d’autres : William Kamkwamba, puisque c’est lui le vrai dompteur de vent, termine ses études aux États-Unis. Il a continué à fabriquer des éoliennes, mais d’autres comme lui pourront le faire encore longtemps, et auront certainement beaucoup de bonne volonté pour réaliser des films qui racontent leurs histoires.

C’est beau, mais c’est désarmant : comme on dit, ne donnez pas un poisson à un affamé, apprenez-lui à pêcher. En langage cinéma, la variante pourrait ressembler à quelque chose comme : ne faites pas un film pour chaque miracle, apprenez-nous aussi ce qui l’a rendu nécessaire.

Le garçon qui dompta le vent : Bande-Annonce

Le garçon qui dompta le vent – Fiche technique

Titre original : The Boy Who Harnessed the Wind
Réalisation : Chiwetel Ejiofor
Interprétation : Lily Banda, Noma Dumezweni, Chiwetel Ejiofor, Joseph Marcell, Aïssa Maïga
Scénario : Chiwetel Ejiofor d’après le roman de William Kamkwamba
Costumes : Bia Salgado
Photographie : Dick Pope
Montage : Valerio Bonelli
Musique : Antonio Pinto
Pays d’origine : Royaume-Uni
Genre : drame
Durée : 113 minutes
Date de sortie : 1er mars 2019 (Netflix)

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