Découverte à l’Arras Film Festival édition 2018 de Kursk, drame historique revenant sur la tragédie du tristement célèbre sous-marin russe : retour sur un jeu d’équilibre entre intime et spectaculaire.
Synopsis : Kursk relate le naufrage du sous-marin nucléaire russe K-141 Koursk, survenu en mer de Barents le 12 août 2000. Tandis qu’à bord du navire endommagé, vingt-trois marins se battent pour survivre, au sol, leurs familles luttent désespérément contre les blocages bureaucratiques qui ne cessent de compromettre l’espoir de les sauver.
« Il faut sauver les ruskovs ! »
A la simple vision de la bande-annonce, les spectateurs pouvaient se lasser de devoir faire affaire à un énième film historique sur une autre de ces histoires de mecs qui doivent sauver des mecs piégés littéralement piégés (un sous-marin ici au fond de l’océan) et symboliquement « traped » (par le contexte de la guerre froide). Le casting était soigné, avec le biopic-man Colin Firth et le physique Matthias Schoenaerts, quoique la présence de Léa Seydoux pouvait vous hérisser le poil pour de mauvaises raisons. Mais revenons sur les deux hommes derrière le film… Écrit par Robert Rodat, scénariste d’Il faut sauver le soldat Ryan et du Patriote, réalisé par Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse), Kursk ne pouvait simplement être le film naïvement humaniste et bordé de bons sentiments attendu.
Intime et spectaculaire
Même si l’intrigue est internationale, dans le sens où elle a concerné l’OTAN et la Russie, Vinterberg construit un récit où la banalité du quotidien et de ces accidents est essentielle. Une première partie du film est filmée en 4/3, format longtemps associé au cinéma des années 30-40 puis au film dramatique à petit budget (on pense à Cassavetes) ainsi qu’à la télévision, cette fenêtre sur le monde qui orne nos salons. Outre ses généralités vite écrites, prenons le film tel qu’il est. Ce format est utilisé pour capter le quotidien des sous-mariniers, un mariage, leur vie familiale, etc. La caméra joue entre plans à l’épaule propre à l’esthétique de Festen et plans fixes plus que soignés – probablement stylisés – qui viennent capturer l’ambiance mystique du mariage à l’église. Justement le film travaille sur la captation du quotidien dans tout ce qu’il a de plus banal et de transcendant. On peut penser à ce plan où les gamins courent le long de la plage pour faire signe au sous-marin Kursk qui s’en va, conduit par leurs pères. La caméra filme à hauteur d’enfant, capte leur amusement banal face à ce spectacle entré dans leurs habitudes. Et la musique religieuse – ou du moins empreinte d’une religiosité – qu’on pouvait entendre dans l’église reprend. Car ce spectacle de banalité tient davantage du rituel que de l’habitude. Et le rituel s’avère être spectaculaire, tant le départ du sous-marin et sa disparition dans les eaux russes nous confronte à une action surréaliste de banalité.
Justement, la dimension spectaculaire gagne en puissance lorsque le ratio 4/3 laisse place à au format « scope ». L’ouverture de l’espace visuel accompagne celle du récit sur le monde. On découvre alors l’institut militaire de la marine britannique ainsi que le commandant vieillissant de la flotte navale russe du nord. Le spectacle devient multi-national. Mais le film centrifuge n’en oublie pas de poursuivre son travail de captation de l’intime. La journée de travail chez les british est dans le fond somme toute banale jusqu’à ce que l’accident soit repéré sur les radars. Et dans le sous-marin, pas de bande-son épique et de sous-mariniers qui courent vers je-ne-sais-quel poste. Le petit événement filmé par Vinterberg est l’apport d’une télévision à travers les sas peu spacieux du bâtiment. Cet équilibre entre intime et spectaculaire apparaît comme le véritable point fort du film, que ce soit dans son écriture ou dans sa réalisation. Même le naufrage du sous-marin bénéficie de ce traitement. Ce dernier joue sur les rapports d’échelle : plan serrés sur les membres de l’équipage subissant une explosion présentée en plan d’ensemble sous une mer étouffant plus ou moins les différents accidents avant de laisser le bâtiment dans le silence maritime de la mer des Barents. Une force se dégage ici de ce montage : les plans « intimes » rendent davantage spectaculaire les images d' »attraction » ; et le grandiose fait s’épanouir l’intime et la narration dans l’attachement à ces personnages mais aussi dans notre immersion dans un drame catastrophique mais bien humain.
Finalement, ce rapport d'(inter)action entre intime et spectaculaire soignés par Vinterberg et Rodat sonne comme un rappel de qu’est le cinéma : une image en mouvement qui peut capter le plus petit, le plus grand, et peut les faire se rencontrer afin de mettre en scène une saga humaine formidable et modeste sobrement intitulée Kursk.
Bande-Annonce : Kursk
Fiche Technique : Kursk
Réalisation : Thomas Vinterberg
Scénario : Robert Rodat, d’après le livre de Robert Moore
Cast : Matthias Schoenaerts, Léa Seydoux, Colin Firth, Peter Simonischek, August Diehl, Max Von Sydow, Magnus Millang, Matthias Scheighoefer, Steven Waddington, Artemiy Spiridonov
Décor : Thierry Flamand
Costumes : Catherine Marchand
Montage : Valdis Oskarsdottir, et Sigurdur Eythorsson
Musique originale : Alexandre Desplat
Producteur : Ariel Zeïtoun
Production : Via Est, Belga Productions, avec la participation de OCS et le soutien de Screen Flanders, La Région de Bruxelles-Capitale, Wallimage (Wallonie) et du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique
Distribution : EuropaCorp Distribution
Genre : Drame
2018 – Durée : 1h57