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Critique : Glass, dissection de super-héros

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Oubliez les surhommes à grandes capes et collants, les véritables super-héros sont des êtres broyés enfermés dans un asile psychiatrique. Avec Glass, M. Night Shyamalan décortique notre imaginaire et notre fascination pour ces  demi-dieux, omniprésents dans le paysage cinématographique. Il conclue la trilogie initiée par Split et Incassable en embrassant pleinement des thèmes humanistes et universels.

Avant chaque visionnage d’un film de Shyamalan, on signe un contrat. Celui d’accepter le pire et le meilleur. Celui de voir de sublimes idées fourmiller à côté d’une maladresse équivoque mais d’une passion indéniable. A la naissance de Glass, il y a la construction inédite d’un univers cinématographique singulier par M.Night Shyamalan. La trilogie, désormais conclue avec Glass, débute en 2000 avec Incassable où Bruce Willis, homme ordinaire, se découvrait capable de l’impossible guidé par un mentor mystérieux en la personne d’Elijah incarné Samuel L.Jackson. Seize ans plus tard sort Split, long-métrage doucement horrifique du même réalisateur  qui présentait Kevin, un être aux multiples personnalités dont une créature surnaturelle nommée la Bête. En apparence, les deux métrages n’ont rien à voir. Pourtant une scène de quelques secondes arrive à la fin de Split et apprend qu’Incassable fait partie du même univers. Trois ans après débarque donc Glass, dont la seule existence fait de ces films une trilogie reliant deux œuvres totalement distinctes.

Une trilogie inédite

Glass est donc un drôle de crossover. D’un côté, il s’habille d’une dimension horrifique et de suspens présente dans Split. De l’autre, Glass emprunte les thèmes humanistes et philosophiques qui faisaient la sève d’Incassable. Décidant de mélanger deux mondes bien distincts sur la forme, Shyamalan tente le diable. Il réussit d’ailleurs bien plus à allier les deux œuvres sur le fond qu’à proposer une identité inédite à son film. A l’image des personnalités qui habitent le corps de Kevin, les identités de deux films se disputent la première place en étant à la fois un thriller, un film de super-héros et un film d’horreur. On ne peut qu’admirer le talent de Shyamalan pour arriver à rendre le tout homogène quitte à perdre le spectateur. Plongeons quelques instants dans une anecdote très significative. A la base, le personnage de Kevin devait être l’ennemi d’Incassable. Mais le réalisateur a jugé que cela alourdirait l’intrigue et ferait perdre du temps pour développer les personnages. On comprend donc qu’avec Glass, Shyamalan décide d’aller au bout de la psychologie de son trio quitte à faire vraiment défaut à l’intrigue et à la trame générale. Après un prologue parfaitement réussi, Glass entame son segment central à l’asile psychiatrique. Et c’est à ce moment là que la cape de super-héros reste coincée et que le film arrête de s’envoler. Pendant plus d’une heure, le récit ne quitte jamais ce lieu et offre les mêmes scènes qui se répètent indéfiniment. L’ennui est inévitable alors que les discours bien trop bavards des personnages veulent nous faire croire que les super-héros n’existent pas. On peut tout de même compter sur la performance  époustouflante et extra-terrestre de James McAvoy, véritable caméléon, pour s’accrocher. La présence de Samuel L.Jackson est tout aussi savoureuse et l’acteur semble toujours habité par le démoniaque Mr.Glass. Par contre, constat assez triste du côté de Bruce Willis, qui ne se contentera que de quelques lignes de dialogues et se dote d’une curieuse absence dans son propre film.

Tout comme avec Incassable, Shyamalan va jusqu’à atteindre quelque chose qui touche au profondément intime. C’est là que la démarche humaniste, au cœur de cette trilogie, prend toute son ampleur. Dans Split, la Bête a pour objectif de protéger les broyés, à comprendre les individus qui ont souffert. Il voit dans les êtres de souffrance la prochaine forme d’évolution. Les plus affaiblis seront les plus forts. C’est un point fondamental dans Glass. Lors de la scène d’interrogation entre la psy (Sarah Paulson) et nos trois super-héros et vilains, cette psychiatre va essayer de chercher un traumatisme dans chacun des personnages pour essayer de comprendre pourquoi ils  sont des héros. Pour être un super-héros, il faut avoir été broyé. Dernière pierre d’une longue réflexion, Glass vient réunir les deux thématiques au cœur de Split et Incassable. Devenir et se croire super-héros devient un moyen de se dépasser et de trouver une place dans un monde auquel on ne semble pas appartenir. Dotés de capacités exceptionnelles, ces êtres n’ont aucun autre choix que de s’accepter dans leur grandeur. Contrairement à tous les films de super-héros, dans celui-là, les comics et l’imaginaire super-héroïque existent. Cela va même plus loin, selon Elijah, tous ces comics seraient inspirés de véritables êtres surnaturels. L’un des axes principaux du film va se concentrer sur le fait de démontrer que ces personnages sont en fait des fous persuadés d’être des héros après une trop grande exposition aux comics. Ainsi, Shyamalan interroge aussi notre fascination de ces personnages hauts en couleur omniprésents dans le cinéma contemporain et à grand spectacle. Pourquoi ces personnages nous fascinent-ils ? Sommes-nous des êtres broyés qui trouvent en ces figures quasi-divines quelque chose qui nous transcende ? Tout au long du métrage, le réalisateur va explorer la culture des comics et essayer d’en identifier l’essence. On retrouve la dualité existentialiste entre les vilains et les héros. Lorsque Kevin et ses personnalités découvrent qu’un sur-homme est capable de leur faire face, ils en deviennent obsédés. Dans les capacités de David Dunn résident la légitimité surnaturelle de La Bête. Si David est un super-héros, alors la Bête est bien un vilain.

Le poil de La Bête 

L’important dans Glass n’est donc finalement pas de savoir si ces personnages sont véritables de super-héros mais s’ils croient l’être. Baser le suspens sur la réalité de leur nature n’est qu’un leurre. Il importe peu de savoir ce qu’ils sont réellement, ce qui est fondamental c’est de savoir s’ils vont s’accepter ou renoncer. C’était d’ailleurs tout le propos d‘Incassable. Toute la trajectoire de David Dunn constituait à savoir si ce surhomme allait accepter sa destinée de super-héros. Dans le trio, chacun possède un personnage extérieur, qui croit bien que leur ami, fils ou père est un héros. Il s’agit tout avant d’une perception. Qu’est-ce qui fait l’essence du super-héros ? Les super-pouvoirs ? Les capacités de David Dunn ou de La Bête sont bien réelles. Suffisent-elles à en faire des personnages de comics ? C’est une nouvelle fois la question de la perception qui rentre en compte. C’est au bon vouloir des personnages dans la diégèse de les considérer ou non comme des héros, mais aussi au spectateur d’accepter la nature super-héroïque du film. Dans Incassable, Elijah tenait un discours faisant l’éloge des comics comme une véritable source d’art, marginalisée et infantilisée par les détracteurs. A travers le personnage de Sarah Paulson, psychiatre qui tente de rationaliser le trio, ce message se poursuit. Elle tient à tout prix à faire comprendre que l’univers des comics n’a pas lieu d’être, empêchant alors à ces personnages de dépasser leur condition humaine pour atteindre un statut divin. « On n’a pas besoin de dieux parmi les hommes  » souffle t-elle à Elijah. Dans les films de comics, toute l’intrigue se polarise autour des interactions entre les héros et les vilains. Ici, les personnages de comics font finalement bloc face aux sceptiques. Il s’agit d’une bataille de croyances et d’imaginaires pour occuper l’espace du film et donc en définir la nature. D’ailleurs, les couleurs des personnages (violet, vert et jaune) deviennent de plus en plus vives quand les personnages croient être dans un monde de comic book. Plus, les personnages rationalisent leurs comportements, plus les couleurs deviennent neutres et fades.

Depuis Incassable et l’avènement de films de super-héros, Shyamalan a précisé sa vision et veut plus que tout la partager. Quitte à alourdir considérablement ses dialogues avec des sur-explications meta pour relier tous les ressorts de l’intrigue à la mythologie des comics. C’est un pas en arrière face à Incassable qui arrivait à intégrer cette mythologie avec une grande sensibilité et subtilité. Comme paniqué à l’idée que son spectateur ne comprenne pas, le film assène maladroitement les codes des comics, utilisant la personnage d’Elijah pour les ré-affirmer de manière claire et explicite. Avec son twist final (attendu), Glass dépasse l’histoire de ces trois personnages et dresse un récit universel et existentialiste. Désormais conclue, la trilogie de Shyamalan apparaît comme un contre-champ essentiel aux multiples blockbusters super-héroïques.

Bande-annonce – Glass

Glass : Fiche Technique

Réalisation : M.Night Shyamalan
Scénario: M.Night Shyamalan
Interprétation ou doublage : James McAvoy, Bruce Willis, Samuel L. Jackson
Société de production: Buena Vista Pictures, Blinding Edge Pictures, Blumhouse Productions
Distributeur (France) : Walt Disney Studios Motion Pictures
Durée : 132 minutes
Genre : thriller, fantastique
Date de sortie : 16 janvier 2019
États-Unis

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