Electrick Children de Rebecca Thomas : Immaculée conception, fable biblique et initiatique
Sélectionné en 2012 aux festivals de Deauville et de Berlin (section Generation), ce premier long métrage autobiographique, au style épuré, de la réalisatrice américaine Rebecca Thomas, est une œuvre mystérieuse et sensible, d’une grande poésie, et qui malgré ses imperfections, saura satisfaire les amoureux du cinéma d’auteur.
Rachel (la lumineuse Julia Garner) est le personnage central qui symbolise une problématique universelle, celle de la rupture avec sa communauté, la recherche de ses origines, le « connais-toi toi-même ! » de Socrate.
Rachel étant convaincue d’avoir été fécondée par la voix entendue sur un vieux magnétophone, cherche sa voie résolument, opiniâtrement, même si pour cela, elle est prête à affronter l’inconnu, la ville, ses dangers, ses tentations, l’ennemi même : Las Vegas, avec ses néons tapageurs, ses rencontres fortuites, des jeunes désœuvrés et blasés, filant cheveux aux vents sur leur skateboard, jouant aux jeux vidéos et amateurs de rock. Elle entraîne dans son sillon son jeune frère, M. Will (Liam Aiken), lui aussi chassé de la communauté persuadée qu’il est le père, mais qui ne parvient jamais à s’en détacher véritablement. Dans ce voyage initiatique, elle rencontrera aussi peut-être l’amour réaliste en la personne de Clyde (Rory Culkin), jeune rocker aux cheveux longs, au vécu similaire qui devient son confident salvateur. Lui aussi vit cette rupture avec ses parents.
Rebecca Thomas, elle-même issue d’une famille mormone, évite l’écueil de la caricature, du règlement de comptes ou du prosélytisme mais souligne avec une ironie bienveillante et une grande finesse, ces existences bannies de la réalité. L’interprétation des tous les acteurs est juste, et la lumière somptueuse de ce film dégage une impression de douceur.
Electrick Children n’est pas seulement une fiction initiatique sur l’adolescence en quête de vérité, mais une expérience singulière, une fable mystique et biblique, une relecture contemporaine de l’histoire de la vierge Marie. La réalisatrice laisse d’ailleurs planer le doute quant à savoir si cette immaculée conception est réelle ou fictive. Même si le scénario est un peu faible, ce film demeure une riche idée de cinéma à la façon de Gus Van Sant [ii], tant les thématiques abordées sont universelles : l’origine de l’enfant, la conception, la rupture sociale, l’arrachement de soi, le feu de la révolte adolescente face à l’iniquité, une quête sociale, mais aussi mystique et religieuse. Une belle fable nocturne au charme indéniable !
Fiche technique : Electrick Children
Réalisation : Rebecca Thomas
Interprétation : Julia Garner (Rachel), Rory Culkin (Clyde), Liam Alken (Mr Will), Bill Sage (Tim), Billy Zane (Paul), Cynthia Watros (Gay Lynn)
Scénario : Rebecca Thomas
Image : Mattias Troelstrup
Décors : Elizabeth Van Dam
Costumes : Stacey Berman
Montage : Jennifer Lilly
Musique : Eric Colvin
Producteur(s) : Richard Neustadter, Jessica Caldwell
Production : Live Wire Films
Distributeur : Bac Films
Durée : 1h33
Date de sortie : 26 juin 2013
Synopsis : Rachel vit avec ses parents dans une communauté mormone fondamentaliste de l’Utah. Le soir de ses 15 ans, portée par un élan d’ailleurs, elle découvre par hasard une cassette bleue, contenant une chanson « Hanging on the telephone » [i], interprétée par un rocker du coin, une révélation pour l’adolescente. Lorsque trois mois plus tard Rachel tombe enceinte, elle est persuadée que ce morceau de musique en est la cause. Ses parents veulent alors la marier de force. Rachel s’enfuit à Las Vegas, à la recherche de l’interprète de la chanson, persuadée qu’elle pourra appréhender le mystère de cette immaculée conception.
Electrick Children Extrait du Film
[i] La fameuse chanson « Hanging on the telephone » a été écrite par Jack Lee et immortalisée par Blondie
[ii] Ce film évoque les thèmes abordés par le réalisateur américain Gus Van Sant, notamment dans son Paranoid Park (2007), un drame émouvant sur la transformation adolescente.