Avec Dumbo, Tim Burton retrouve sa grâce

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Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Avec l’adaptation du classique de Disney de 1941, Tim Burton se rapproche un peu plus du ciel et y retrouve sa grâce. Réuni avec sa magie, il va à contre-courant du film dont il est tiré jusqu’à en dénoncer les travers. L’un des premiers films Disney contre Disney. Et au milieu de tout ça, Dumbo décolle et atteint un onirisme terriblement mouvant. Visiblement, les éléphants roses sont toujours capables de danser.

Redonner vie au plus célèbre des éléphants avait de quoi faire peur. Depuis quelques années, Disney s’attelle à reproduire tous ses classiques dans une logique mercantile et très pauvre artistiquement. A côté de cela, le projet est confié à Tim Burton, réalisateur emblématique des années 90 et 2000 avec de grandes belles œuvres comme Edward aux Mains d’argent, Batman ou encore Big Fish, mais peu inspiré depuis le début de la décennie où il enchaîne des longs-métrages pire que moyens à l’image de Dark Shadows ou Big Eyes. De plus, l’adaptation du Dumbo 1941 relève d’un vrai défi. Le film ne durait qu’une heure et n’était entièrement composé que d’animaux qui parlent dans un récit assez restreint. A la base, le long-métrage est inspiré d’un comic-strip au dos du boîte de céréales. Un film désormais culte d’une vraie richesse émotionnelle mais à la narration si épurée qu’elle rend compliquée une adaptation longue et réaliste en prises de vues réelles. Autant dire que nos craintes étaient de trop, et que Burton va bien plus loin qu’un copier/coller en proposant un  film personnel qui dépasse l’ambition thématique et morale de l’original. C’est dans des décors un peu déroutants d’artificialité, que l’on retrouve l’univers baroque de Tim Burton. Comme très souvent dans son cinéma, les marginaux sont les héros.  On comprend très vite comment l’histoire d’un éléphant moqué pour ses grandes oreilles a pu séduire le réalisateur, amoureux de la différence et de la singularité. Comme le disait récemment le réalisateur en interview, on se rappelle de nos Disney d’enfance comme des rêves. Certaines images sont imprimées sur notre rétine pour toujours sans qu’on puisse néanmoins reconstituer un récit complet du film. Et c’est typiquement ce qu’arrive à reproduire le réalisateur dans son film avec certains moments oniriques d’une beauté terriblement mouvante, qui arrivent après un début très fastidieux. Il use de scènes cultes de l’original pour y faire des clins d’œil plus ou moins appuyés sans les réinsérer dans sa chronologie originale. De la même manière qu’on raconterait un de nos rêves donc.

Une salve contre les industries

C’est là, qu’à l’instar de son éléphant, le long-métrage décolle, ne retombant que pour s’attarder autour de ses personnages humains et ses acteurs un peu à côté de la plaque. Dans le film de 1941, les humains étaient complètements absents, apparaissant sans visages, à l’exception de Monsieur Loyal. Ici malgré un casting extraordinaire (Eva Green, Colin Farrel, Danny DeVito et Michael Keaton), la plupart de la troupe semble se perdre au milieu des fonds verts, allant soit dans le sous-jeu (Farrel toujours endormi) soit dans le sur-jeu le plus total (Michael Keaton trop cartoonesque). En dehors de ses moments de poésie, c’est véritablement dans les thématiques subversives qu’il expose que Tim Burton retrouve sa grâce. D’ailleurs, la présence de ces thèmes dans un Disney a tout pour surprendre. A travers l’immersion d’une bande de saltimbanques dans le monde du show-business, c’est les industries culturelles qui participent au divertissement de masse que Tim Burton critique. Tout un symbole d’instiller un tel discours dans un film de la firme Disney. L’entreprise aux grandes oreilles est bien connue pour sa démarche mercantile et ultra-productiviste. C’est d’ailleurs dans cette logique qu’elle décide de proposer un remake de Dumbo, comme nous l’expliquions ici. Cet été, la suite des Indestructibles tenait un discours semblable sur les films de super-héros, notamment ceux produits par la même entreprise.

Dans cette histoire, Vandemere, magnat aux cheveux platine du divertissement, vient contacter la troupe de Medicis pour s’accaparer le petit éléphant. Pour se faire, il offre monts-et-merveilles aux héros saltimbanques jusqu’à les faire vivre au milieu de son immense parc d’attractions, qui n’est pas sans rappeler Disneyland.. Sans trop en révéler sur l’intrigue, on peut se douter que ses intentions sont malhonnêtes et que l’homme est bien prêt à tout pour tirer profit de son éléphant, sans hésiter à l’exploiter comme il le faut. La désillusion des personnages est semblable à celle d’un artiste arrivant à Hollywood mais comprenant vite les rouages d’une machine qui le dépasse. Le tout en ne respectant absolument pas le reste de la troupe du cirque, pourtant censé continuer à pouvoir vivre de leur art. Un parallèle curieux lorsqu’on s’intéresse à Walt Disney, qui avait licencié une partie de ses employés suite à la sortie du premier Dumbo. Ce message anti-capitaliste ne surprend pas chez Burton mais peut surprendre dans Dumbo. Le premier film de 1941 assumait ce parti à fond, Dumbo s’émancipant finalement à travers le succès de ses spectacles. Dans le film de Tim Burton, si le talent de l’éléphant attire tous les profiteurs, à aucun moment le réalisateur ne dépeint l’épanouissement de l’animal à travers ce monde de spectacle.Cette immense industrie vénéneuse paraît alors totalement incompatible avec un sincère usage des talents et des forces artistiques. Mais le réalisateur veut avant tout dire que l’art doit persister à exister dans sa forme la plus libre et honnête. Au départ, la petite fille ne veut rien avoir à faire avec le cirque car elle désire étudier la science et les curiosités naturelles. Plus tard, elle arrivera à associer cette volonté au milieu du cirque et donc de l’art. Une allusion peut-être à celui viré un temps du studio pour ses ambitions artistiques un peu trop en marges avant d’y retourner accueilli à bras ouverts.

Tim Burton ne cherche pas nier non plus la réalité de son premier film, bien au contraire. Le premier Dumbo est bien un film de son temps, qui incarnait et annonçait les prémices du capitalisme culturel. Sur la question de l’exploitation animale, si le récit est bien inspiré de l’histoire vraie de Jumbo un éléphant de cirque rendu célèbre aux États-Unis pendant le XIXème siècle, le premier film était bien loin des considérations animalistes contemporaines. C’est pourtant ce qui se retrouve au cœur du film de Tim Burton. Finalement, l’œuvre de Tim Burton ne raconte pas le contraire du film dont il est inspiré. Il en est simplement le prolongement historique et thématique. Il raconte ce que le premier film ne pouvait pas encore savoir, et disait à tort. Et au milieu de cette magie, Tim Burton s’envole et retrouve sa grâce.

Bande-annonce – Dumbo

Dumbo : Fiche Technique

Réalisation : Tim Burton
Scénario :  Ehren Kruger d’après le scénario de Dumbo d’Otto Englander, Joe Grant et Dick Huemer et d’après Dumb créé par Helen Aberson et Harold Pearl
Interprétation : Eva Green, Michael Keaton, Colin Farrel, Danny DeVito
Musique: Danny Elfman
Producteur(s): Justin Springer, Ehren Kruger, Derek Frey et Katterli Frauenfelder
Société de production: Walt Disney Pictures, Tim Burton Productions
Distributeur:  Walt Disney Studios Motion Pictures International
Durée : 1H52
Genre : aventure, fantastique
Date de sortie : 27 mars 2019