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Critique : Un Homme très Recherché, un film de Anton Corbijn

Un Homme Très Recherché : Une nouvelle adaptation de John Le Carré péchant par son trop grand formalisme !

Synopsis : Plus de dix ans après les attentats du 11 Septembre 2001, la ville de Hambourg a du mal à se remettre d’avoir abrité une importante cellule terroriste à l’origine des attaques contre le World Trade Center. Lorsqu’un immigré d’origine russo-tchétchène, ayant subi de terribles sévices, débarque dans la communauté musulmane de Hambourg pour récupérer la fortune mal acquise de son père, les services secrets allemands et américains sont en alerte. Une course contre la montre s’engage alors pour identifier cet homme très recherché : s’agit-il d’une victime ou d’un extrémiste aux intentions destructrices ?

« Écrire, c’est à peu près comme se trouver dans une maison vide et guetter l’apparition de fantômes.»

Sous ce propos rendant compte de l’esprit tourmenté voire abscons d’une bonne partie d’écrivain, se cache John Le Carré. Auteur britannique né en 1931 et contemporain d’un certain Ian Fleming (le créateur de James Bond), il a su marqué d’une pierre blanche le monde de l’écriture grâce à sa prose sans égale parvenant au prix de nombreux romans à démystifier l’espionnage dans toute sa conception et surtout dans toute son appréhension.

Se distinguant clairement de Fleming, qui lui dépeignait des intrigues la plupart du temps exagérées et enjouées de par la nonchalance et la désinvolture de son héros en smoking, Le Carré préférait lui, quitte à faire figure d’exception, dépeindre un monde ne se divisant pas entre bons et méchants, où les meilleures qualités d’un agent secret sont la patience et une discrétion pouvant aller jusqu’à l’effacement et ou les personnages, jamais idéalisés et vecteurs de l’intrigue, restituaient le quotidien véritable des espions, fait de monotonie à refaire sans cesse nuits blanches, filatures et enquêtes complexes.

Symbolisant pour certains une vision quasi clinique du métier et pour d’autres l’aspect souvent oublié fait de paperasserie et d’ennui, le style Le Carré, bâtissant sa ligne de conduite sur ce soin d’authenticité tout en profitant de l’absence notable d’écrivains dans le domaine, a su s’affirmer comme une référence en termes de roman d’espionnage.

Référence qui n’attendra pas longtemps avant de subir les affres de l’adaptation puisque fort de l’arrivée de James Bond en 1962 au cinéma et du regain d’intérêt pour l’espionnage suscité par ce dernier, Le Carré verra ses romans par plusieurs fois adaptées et ce pour des résultats plus ou moins engageants mais disposant la encore de rythmes encore une fois aux antipodes de 007, mettant ainsi en valeur les personnalités, leurs forces, leurs faiblesses, les relations entre les individus et non les festivals de pyrotechnie supposés.

Un mantra littéraire encore une fois scrupuleusement respectée dans la dernière œuvre du maitre ayant eu droit aux louanges d’une adaptation, A Most Wanted Man (Un Homme Très Recherché).

A l’Ouest, rien de nouveau !

Délaissant la critique acerbe des dérives de la mondialisation présente dans The Constant Gardener, Un Homme très Recherché narre dans une ambiance atone et froide la paranoïa post 11 Septembre vue à travers les services secrets allemands, sur le qui-vive, lorsqu’un immigré musulman aux troubles intentions débarque à Hambourg, ville ayant abrité le réseau terroriste à l’origine des attentats du World Trade Center.

Soucieux de ne pas rééditer cette terrible débâcle et laisser filer un potentiel terroriste dans la nature, Günther Bachmann (Phillip Seymour Hoffman), est alors dépêché comme l’agent responsable de l’opération visant à son arrestation.

Ton blafard, démarche patibulaire et cigarette à la bouche, Bachmann, figure archétypale de la prose Le Carré, doit dans le même temps composer avec une hiérarchie oppressante et pressée et un détachement d’agents américains, désireux de s’inclure dans l’enquête afin de lutter contre le terrorisme à sa source en faisant tomber un intermédiaire supposé d’Al-Qaeda.

Rien que pour vos yeux…

Doté d’un propos étonnamment d’actualité jonglant avec les pensées islamophobes, les tensions inter agences, la paranoïa post 11 Septembre et la rivalité des grandes puissances pour endiguer à leur manière le terrorisme, la trame d’un Homme Très Recherché ou du moins le contexte dans laquelle elle s’insère avait de quoi intéresser tant cette dernière apparaissait comme une nouvelle plongée analytique du maître dans les bas-fonds de l’espionnage.

Transcrivant avec la dextérité qu’on lui connait 10 ans de haine primale de l’islamisme pour la transformer en une paranoïa maladive dont sont atteints ses personnages tout en mettant l’accent sur la volonté de raconter l’histoire méconnue de ces héros de l’ombre s’échinant à rendre le monde plus sûr, ou sur la réanimation des relents fantomatiques de l’espionnage des 60’s entre ruelles sombres, interminables filatures et cendriers remplis de mégot, Un Homme Très Recherché s’assume dès le début comme une plongée dans les arcanes d’un métier encore jugé comme enivrant et qu’on croit à tort rempli de savants fous capable de concevoir des stylos-billes explosifs ou des voitures invisibles.

S’engouffrant dans cette démarche ayant fait sa renommée, le film dans un premier temps séduit. Au hasard de personnages froids, si ce n’est distant, d’une localité automnale, celle de Hambourg en l’occurrence, et d’un rythme quasi documentaire, oscillant entre une rigueur formelle et un lent acheminement de l’intrigue, le film déploie ses pions sur un échiquier ne présentant pas pour autant un côté noir ou blanc mais gris ; subtil mélange obtenu par le caractère de certains personnages devant s’acquitter de tâches ingrates et donc illégale pour servir l’intérêt général.

Mais au fur et à mesure que cette chronique minimaliste et captivante se déploie, l’attrait et le charme général du film se délitent. La faute à une œuvre déjà sur le papier trop formelle, elle-même accentuée par la rigueur de la réalisation, qui bien que méticuleuse et appliquée, entraîne le film vers un long élan prosaïque auquel le réalisateur, Anton Corbijn (The American) véritable faiseur du genre a bien du mal à s’en dépêtrer.

Rendant ainsi compte du talon d’Achille du romancier, à savoir celui d’imaginer des histoires aussi détaillées et haletante que les cadres dans lesquelles elles s’insèrent, Un Homme Très Recherché ne vaut plus que pour sa représentation efficace d’un monde gangrené par le peur et la soif du succès et son casting 5 étoiles, composé du regretté Philip Seymour Hoffman, Robin Wright (vue dans House of Cards), Rachel McAdams ou encore Willem Dafoe, qui au diapason de cette œuvre exigeante, délivre d’honorable prestations, accentuant ainsi au passage le mantra quasi papal de Le Carré : celui de cerner davantage les personnages que l’histoire.

Fiche Technique : Un Homme très Recherché

Titre original : A Most Wanted Man
Réalisation : Anton Corbijn
Scénario : Andrew Novell
Acteurs principaux : Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Grigoriy Dobrygin, Robin Wright, Willem Dafoe, Daniel Brühl
Pays d’origine : Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne
Sortie : 17 Septembre 2014
Durée : 2h02mn
Distributeur : Mars Distribution
Rédacteur LeMagduCiné