Chef, un feel-good movie culinaire reconverti en une grinçante critique d’Hollywood !
Synopsis: Carl Casper, Chef cuisinier, préfère démissionner soudainement de son poste plutôt que d’accepter de compromettre son intégrité créative par les décisions du propriétaire de l’établissement. Il doit alors décider de son avenir. Se retrouvant ainsi à Miami, il s’associe à son ex-femme, son ami et son fils pour lancer un food truck. En prenant la route, le Chef Carl retourne à ses racines et retrouve la passion pour la cuisine et un zeste de vie et d’amour.
La question de l’aspect mercantiliste du cinéma américain n’est plus à prouver.
Devenu en moins de 40 ans un véritable parangon de réussite économique et vecteur de diffusion de l’American Way of Life, le cinéma américain, sacro-sainte profession de l’entertainement mondial s’est rapidement mué, au grand dam de beaucoup, en une vulgaire industrie, dont André Malraux dans son Esquisse d’une psychologie du cinéma a su affiner les contours, rendant compte d’un système, froid, juvénile et plus attiré par l’appât du gain et le retour sur investissement que la splendeur d’antan des classiques et de leurs empreintes laissées.
Une industrie ayant instauré un visage dichotomique du cinéma américain contemporain, tiraillé entre sa veine artistique, auteurisante et flamboyante et son désir sous-jacent de marquer l’hégémonie américaine sur le plan culturel à bon gros coups de patriotisme discount et d’explosions pétaradantes. Une dichotomie, malheureusement à la source d’un sempiternel conflit aux airs de David et Goliath entre la veine indépendante, nourrissant sa liberté par des films osés, inattendus et confinant souvent au génie et la veine industrielle, absorbant plus que de raison les ambitions de réalisateurs soucieux de contribuer à de grosses productions et se retrouvant à accepter les ordres de producteurs frileux, peu enclins aux changement et s’appuyant sur un système vieux de 40 ans, prônant le gigantisme de l’action et des effets insérés par rapport à l’humain, vecteur essentiel dans la quête d’indentification du spectateur au héros.
Un affrontement, âpre si ce n’est rude longtemps insoupçonné, mais qui par le biais de personnalités courageuses et soucieuses de conserver leur indépendance créatrice commence lentement à se dévoiler. Des propos ayant eu pour finalité de mieux cerner l’usine à rêve hollywoodienne et surtout de voir à quel point ces faiseurs de plaisirs artificiels évoluent dans un monde superficiel ou le formatage est devenu légion.
Car sous leurs airs de distillateurs de produits tendance et funs, les firmes d’entertainement US sont impitoyables. Suivant à la lettre un cahier des charges aux airs de saintes paroles, les grands pontes de ces firmes n’hésitent pas à mettre à la porte la première personne ne respectant pas leurs consignes, qui, héritées de logiques marketing formatées, dictent jusqu’au moindre mouvement de caméra ou choix d’acteur, la dynamique certaine dans laquelle doivent évoluer leurs productions, quitte à devoir renvoyer les âmes courageuses (coucou Edgar Wright !) étant tombé dans les travers de ce cinéma pop-corn aseptisé.
Le Dernier des Mohicans
Beaucoup se demanderont alors pourquoi dépeindre l’atmosphère belliqueuse du tout Hollywood quand le film en question ne vise, de par sa nature et de son contenu, clairement pas les mêmes prétentions ou aspirations qu’un Marvel tentant d’ériger en hit planétaire son récent Les Gardiens de la Galaxie.
Ce à quoi il faut répondre le statut. Un statut qui change tout, car entre un jeune réalisateur devant faire ses preuves ou un réalisateur dans le creux de la vague, un tas de variables entrent en jeu tels que le succès, les échecs, le style, l’appartenance à un courant de pensée, etc.
Et dans ce sens, il demeure peu commode de reprendre le titre d‘un film de Michael Mann me direz-vous, mais ce titre, ce statut est à la vue de Chef, primordial quant à son auteur, en l’espèce Jon Favreau.
Réalisateur aux airs de bon gros nounours sympathique, jouant aisément les seconds couteaux dans diverses productions américaines (Le Loup de Wall Street, Iron Man, John Carter, Daredevil) et ayant officié d’ailleurs dans ce microcosme délirant ou la créativité est bridée et les ordres assignés pleuvent en réalisant Iron Man et sa suite, il faut dire que la perspective de le voir réaliser une comédie culinaire vantant le mérite de la bonne bouffe et de l’indépendance créative au pays du junkfood était quelque peu hypocrite si ce n’est dérisoire. Tant pour son dernier film, reconverti en attrape geek patenté en résultant d’une incursion maladroite dans le genre matriciel du cinéma américain, le western, couplée aux petits hommes verts (Cowboy et Envahisseurs) que pour sa bonhomie super-size, on craignait ainsi de voir un réalisateur coincé dans un système et tentant de faire croire au reste du monde que sa verve créatrice est restée intacte, quand bien même son rôle de valet d’Hollywood nous persuade du contraire.
Des suspicions à moitié envolées à la vue de l’accueil étonnamment élogieux du film au Festival de Deauville en Septembre dernier ; et du casting littéralement dithyrambique comprenant le désormais rare Dustin Hoffman, le surbooké Robert Downey Jr, l’envoutante Scarlett Johansson et Sofia Vergara (Modern Family).
Toutefois, l’utilisation de réalisateurs à contre-emploi, faisant merveille de nos jours comme l’attestent les succès publics et critiques de Skyfall ou plus récemment des Gardiens de la Galaxie, suffisait à nous faire croire ou du moins espérer une surprise, loin de la comédie aux airs de démonstration de talent qu’on était en droit d’attendre.
Let’s Cook !
Affiche jaune vintage, sourire ambiant, décontraction revendiquée, l’affiche de Chef donne très vite le ton. Le film sera simple, détendu, empli de bonne humeur, sans mauvaise foi et disposant d’une sincérité à l’ouvrage désarmante. En somme un authentique feel-good movie aux intentions claires comme de l’eau de roche : détendre aussi bien les yeux de par son cadre très coloré mais aussi les papilles, zone évidemment visée de par le sujet.
Chef réputé, Favreau incarne ici un cuisinier dévoué pour son art, débordant de créativité malheureusement engoncé dans un système l’obligeant à contenir et à réprimer sa verve créatrice au profit de recettes hype commençant à dater et demeurant inamovibles, clientèle oblige. Toutefois un beau jour, et face au refus de son patron, de le laisser explorer d’autres horizons culinaires en souhaitant améliorer le menu, ce chef décide de tout plaquer et de revenir à ses racines. A la clé, la liberté artistique tant recherchée et éventuellement un nouveau départ dans sa vie personnelle.
Une histoire guillerette, sympathique, si ce n’est naïve qui dans un premier temps porte à rire tant cette incursion de Favreau derrière les fourneaux déverse tellement de bons sentiments, qu’on pourrait penser à une gigantesque fumisterie.
Pourtant derrière le cadre lambrissé et étonnamment simpliste du film, fourni par une mise en scène délaissant les effets pyrotechniques pour s’attarder sur les relations humaines et l’affirmation de soi, Chef dévoile son jeu, bien caché, tel le cœur liquide d’un fondant au chocolat. Et quel face cachée ! Là ou d’incurables sceptiques voire haters auraient pensé que Favreau se serait érigé en dénonciateur du lot d’horreur protéinées ou sucrées hérités de la cuisine américaine, ce dernier prend tout le monde de cours, puisque son message est beaucoup plus grand que ça.
Convoquant aisément au road-trip déglingué qu’à la quête filiale entre un père et son fils tous deux à la recherche d’une relation père/fils stable et convenue, Chef, à la fois humble et sans prétention se paye le luxe de revêtir l’habit d’une des plus grinçantes critiques érigée contre le tout Hollywood et ce depuis des années.
Aidé par son expérience malheureuse de Yes-Man latente lorsqu’il faisait les malins pour le compte de Marvel, Favreau tisse en effet à travers sa comédie, une véritable dénonciation de l’envers du décor hollywoodien, ou toutes les étapes sont retranscrites une à une allant de l’inflexibilité du patron refusant les nouveaux menus, assimilables aux producteurs se reposant sur le cahier des charges hollywoodiens ; la démission du chef assimilable à l’exode des jeunes talents vers la veine indépendante jusqu’à la décision d’officier dans un food-truck, assimilable à assumer la part de responsabilité et d’estime qu’on a pour soi en montrant que la qualité et le plaisir ne viennent pas forcément de mets réputés et hors de prix.
Un message, qu’il faut se dire, assez inattendu dans ce genre de production amenant le sel de cette comédie fraiche et authentique, toutefois plombée par la surreprésentation du réseau social Twitter, utilisé un temps pour rapprocher le père et son fils, ici quasiment expliqué de A à Z, et sentant soit la démarche publicitaire pure et simple, soit la volonté d’inscrire le film dans un contexte moderne et donc filmer les vieilles générations, mal à l’aise avec l’informatique. Un défaut auquel s’ajoute le casting, qui regroupant de beaux noms, donne l’impression d’user de leur célébrité pour donner un poids au film.