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«Close», de Lukas Dhont, avec Gustav De Waele et Eden Dambrine (à droite), Menuet/Diaphana Films/Topkapi Films/Versus Production

Close : Boys do cry

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Quatre ans après Girl, Lukas Dhont revient en (très) grande forme avec Close. Récompensé par le Grand Prix au Festival de Cannes 2022, le deuxième long-métrage du réalisateur belge dresse un portrait tendre et dénué de clichés de l’amitié masculine.

Du cinéma avant toute chose

Vous vous souvenez de la chanson de « Close to me » de The Cure ? « I’ve waited hours for this (j’ai attendu des heures pour ça) / I wish I’d stayed asleep today (Je regrette de ne pas avoir passé la journée à dormir) / I never thought that this day would end (Je n’ai jamais pensé que ce jour finirait) / I never thought that tonight could ever be (Je n’ai jamais pensé que cette nuit pourrait être) / This close to me (Si près de moi) ».

Vous vous demandez sans doute ce que viennent faire ces paroles dans une critique de cinéma. « De la musique avant toute chose », disait Verlaine en parlant de la poésie. Ce dernier ne se doutait pas que ce joli vers s’appliquerait un jour au cinéma. Qu’est-ce qu’un film sinon une mélodie composée d’images ? Lukas Dhont l’a bien compris. Son deuxième long-métrage – Close – témoigne d’une lecture assidue de la poésie autant qu’une écoute attentive de Robert Smith. De quoi parle-t-on ? L’histoire du film apparaît somme toute classique.

Leo (Éden Dambrine) et Rémi (Gustav de Waele) sont inséparables. Frères de cœur, meilleurs amis, tous les superlatifs sont permis pour désigner le lien fusionnel qui unit les deux ados. Close offre une nouvelle variation autour de l’amitié brisée. Il serait aisé de voir dans le duo Leo/Rémi un avatar du mythique tandem formé par Rox et Rouky. La comparaison avec l’univers Disney s’affirme d’autant plus au début du film où l’atmosphère paraît idyllique. Le soleil brille. Les enfants courent. Les champs sont garnis de fleurs. Bref, il fait beau. C’est l’été. Rien ne semble pouvoir séparer les inséparables. Léo et Rémi ne font qu’un. Ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Un regard suffit. « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi » disait un certain Montaigne. La cour de récré viendra, pourtant, ajouter à ce mélodieux parallélisme une légère variante qu’on appelle l’homophobie.

« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi ; parce que c’était eux »

En affichant leur complicité en classe, Léo et Rémi s’exposent irrémédiablement à la suspicion des autres élèves. « Est-ce vous êtes en couple ?» leur lance une camarade sur un ton faussement ingénu. Tel est la question ou plutôt l’obsession qui revient sans cesse. Et qui s’insinue bientôt dans l’esprit de Léo. L’ostracisme se place comme une menace à peine voilée. Peut-être Léo prend-il peur ? Peut-être flaire-t-il le risque d’être exclu par les autres s’il continue à s’afficher avec Rémi. Le personnage change, opère un virage à 360 degrés. Se rapproche des garçons supposés « virils », Cultive un mimétisme qui l’entraîne sur les cimes d’une performance qui sonne faux, celle du « petit dur » jurant et faisant du hockey. La distance s’installe, charriant avec elle une cassure. Une cassure qui sera reçue comme une claque par Rémi. Un gigantesque soufflet dont il ne pourra se remettre. Au grand dam de Léo qui n’avait pas vu le coup venir. Sidération, deuil et culpabilité viendront frapper le jeune homme.

L’école est un petit théâtre impitoyable. Sur cette scène, l’amitié masculine n’est tolérée que si – et seulement si – elle se sacrifie elle-même sur le grand autel de la sacro-sainte virilité. Les multiples démonstrations de tendresse entre Léo et Rémi sont très vite sexualisées par le regard des enfants. Questionnés, les deux héros sont sommés de s’expliquer devant le tribunal de l’inquisition qui voit, dans leur amitié, le signe limpide d’une relation homosexuelle. Cette absurdité est filmée à hauteur d’enfant. Les gros plans abondent. Au plus près des visages, captant les émotions qui y passent, se figent ou explosent. Close est une œuvre où l’intime se mêle de politique (et où le politique est dans l’intime). Avec Lukas Dhont, l’amitié entre garçons prend une tournure à la fois tragique et lumineuse.

Tragique car sa destruction est le fruit d’une société incapable de faire la différence entre amitié et sexualité, tendresse et désir. Celle-ci enferme l’amitié masculine dans un carcan nauséabond, intimant d’étouffer toute forme d’émotions (perçues comme supposément) « féminines ». Et stigmatise voire tue ceux qui enfreindraient la règle patriarcale.

Lumineuse car le film brave les interdits, brise un tabou en (dé)jouant tous les clichés. « On nous apprend depuis toujours à avoir peur de l’intime, de la fragilité de la tendresse.», expliquait Lukas Dhont dans une interview pour le magazine Trois Couleurs. Ne plus craindre le stéréotype, l’assumer pour mieux s’en défaire et ainsi imposer sa petite musique. Saper le schéma classique. Utiliser les codes du mélo sirupeux afin de subvertir nos idées reçus. « Boys don’t cry » chantait  ironiquement Robert Smith. Et ne peuvent être tendres ajouterait avec malice Lukas Dhont.

Close – Bande-annonce

Close – fiche technique

Réalisation : Lukas Dhont
Scénario : Lukas Dhont et Angelo Tijssens
Montage : Alain Dessauvage
Production : Michiel Dhont et Dirk Impens
Coproduction : Jacques-Henri Bronckart, Arnold Heslenfeld, Laurette Schillings et Frans van Gestel
Sociétés de production3 : Menuet Producties ; Versus Production et VTM (Belgique) ; Topkapi Films (Pays-Bas) ; Diaphana Films (France)
Sociétés de distribution3 : Lumière Publishing (Belgique), Diaphana Distribution (France)
Genre : drame
Durée : 1h45
Sortie: 2 novembre 2022

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3.8