Avatar: la voie de l’eau, James Cameron à marée haute

Guillaume Meral Rédacteur LeMagduCiné

C’est long 13 ans. Enfin, il paraît : pour les courtisans du temps de cerveau disponible, ça fait une éternité à ne pas occuper le terrain du contenu. Mais James Cameron, comme Tom Cruise, s’en fout. Quand on a le sens du temps long, quelques minutes suffisent pour combler un écart de plusieurs décennies, Top Gun : Maverick l’a prouvé il y a quelques mois. Avatar : La voie de l’eau lui emboîte le pas, et donne raison au cinéma avec un grand C en moins de temps qu’il n’en faut pour nous faire revenir sur Pandora comme si c’était hier. C’est fait, c’est dit, et dans un monde parfait ça devrait suffire à donner totalement raison à son auteur.

Retour vers le Futur

Les (grands) films sont comme les gens, on ne prend pas tous les jours des nouvelles de ceux qui nous sont le plus chers. En l’occurrence, la décennie écoulée n’a pas fait de Jake et Neytiri des étrangers : on les voit, avec la même clarté qu’en 2009, et vice-versa.

« Si vous regardez longtemps au fonds des abysses, les abysses finissent par voir au fond de vous ». Cameron n’ouvrait pas Abyss avec du Nietzsche pour faire joli, mais pour nous prévenir : un film est un corps vivant qui vous rend le regard que vous lui portez. Dans Avatar, Cameron le cinéaste des profondeurs ajoutait le relief à la profondeur de champ pour hyperboliser cet échange. Voir en 3D revenait à être vu en 3D. Le « I see you » c’était aussi celui d’Eywa, l’écosystème animiste qui plantait son réseau dans l’iris du spectateur pour connecter avec ses chakras. Cameron signait un bail longue durée avec l’inconscient populaire, résidant de Pandora car habité par elle. On appelle ça une empreinte culturelle, bitch.

C’est peut-être la sensation la plus grisante d’Avatar : La voie de l’eau : reconnaître ce monde qui nous reconnait en retour, et nous reprend là où on l’avait quitté. Dès lors, pas besoin de nous refaire le mode d’emploi, on entre tout de suite dans le vif du sujet. Les Sully nous introduisent leur univers familial élargi en 3D HFR (et Scope pour le coup), qui ne se remarque plus sitôt le premier frame customisé. On entend déjà les cris d’orfraies de ceux qui se plaindront de ne pas avoir vu la différence jaillir de l’écran pour leur sauter aux yeux. Mais comme le dit le réalisateur Philippe Lioret, « montrer la technique au spectateur, ça revient à laisser l’étiquette du prix sur le cadeau qu’on lui fait ». Il FAUT absolument voir Avatar en 3D HFR, non pas pour voir la prouesse mais pour justement pour mieux l’oublier.

C’était Demain

TOUT fait vrai, réel, vivant et immédiat alors que TOUT est fait de faux. Chez Cameron, oublier la technique n’est pas une performance, mais une nécessité pour s’oublier soi-même en tant que spectateur et membre de l’espèce. Matériel ou numérique, humain ou extraterrestre, live ou animé on s’en fout, ce sont des considérations du monde d’avant. Dans celui d’après, la nouvelle et seule frontière qui vaille est celle de l’incarnation. Et Dieu sait si La voie de l’eau en repousse les limites.

Sigourney Weaver peut jouer une pré-adolescente si elle y met tout ce qu’elle a comme dans la prestation d’une vie. Un mammifère amphibie peut devenir porteur d’un arc tragique à en chialer si le spectateur l’identifie comme un personnage à part entière et non pas un side-kick. Cameron peut rejouer le climax de Titanic avec des aliens de 4m piégés comme des poissons hors de l’eau dans un cercueil aquatique si les affects fonctionnent sur le niveau le plus viscéral qui soit. En l’occurrence la famille, source d’angoisses universelles et contagieuses au sens large du terme quand c’est Cameron qui prend la tribune.

Le réalisateur n’a peut-être jamais parlé de lui aussi directement, sur un ton qui frôle parfois l’affliction qui plus est. Avatar premier du nom était un film sur la renaissance au (ou plutôt à un) monde, sa suite sur la peur de perdre son monde dans le grand effondrement. Le film lance les hostilités sans tarder, la catastrophe confronte les personnages à leur précarité dans une soudaineté et une brutalité qui rappellent l’apocalypse nucléaire de Terminator 2. Lancés sur la route de l’exil, privés de leur foyer et de ses mythes, ils doivent tout réinventer et tout recommencer, ensemble.

Non, ce pays n’est pas (encore) pour le vieil homme

Ça concerne aussi Cameron, privé de la maïeutique de Joseph Campbell, et donc des structures narratives que le spectateur abrite dans son petit morceau d’inconscient collectif. Le réalisateur n’aime décidément rien tant que se compliquer la tâche, et réussir à coucher tout ça sur papier ne devait surement pas être le plus mince obstacle à surmonter. Et ça se voit.

C’est là qu’on entre dans la partie délicate. Car dans un film où on oublie tout et en particulier ce qui devrait se faire remarquer, le scénario rappelle à intervalle plus ou moins régulier la raideur de la pente. Cameron grimpe le col, mais essaie trop souvent de ne pas tomber durant son ascension. On ne parle pas des personnages en eux-mêmes, caractérisés et développés avec le sens du détail équivoque propre à son auteur, mais de leur interaction chorale.

Comme si le montage assemblait un puzzle dont les pièces ne s’emboîtent pas toujours. A croire que les writers room ne communiquaient pas entre elles, et s’employaient à mettre les carrés des uns et les ronds des autres dans l’étui rectangulaire de Cameron. Dans ces conditions, le tout ne peut être supérieur à la somme des parties pour tout le monde. On pense au personnage Quarritch, mais surtout à celui de Kate Winslet, dont le record d’apnée sur le tournage équivaut à peu près à son temps de présence additionné sur le film.

Le poids de la couronne

Une version longue doit bien se cacher quelque part pour rééquilibrer tout ça. Mais en l’état, on aimerait surtout qu’il y en ait moins : moins de personnages, d’enjeux, et plus d’ellipses et de hors-champ. On peut dire ce qu’on veut sur les talents de scénariste de Cameron, mais il avait toujours su écrire en cinéma. C’est-à-dire en images, sans montrer au spectateur ce qui avait besoin d’être tu.

Or, ici l’efficacité ne rime plus forcément avec essentiel, on est moins du côté du romanesque que du feuilletonesque. Cameron et son équipe se hissent en suffocant sur la marche que Matthew Vaughn enjambait sur la pointe des pieds entre Kingsman et Le Cercle d’or. Ce qui ne serait pas si dommageable en soit, si les impératifs du multivers cameronien ne s’interposaient entre le spectateur et Pandora.

C’est tout le problème au fond avec La Voie de l’eau : ses qualités sont bien trop élevées pour ne pas éclairer ses défauts plein-phares. Le spectateur et Eywa communient toujours droit dans les yeux l’un de l’autre, mais désormais à travers l’interface intrusive des ambitions sérielles de son auteur. Que l’on ne s’y trompe pas : James Cameron n’a pas menti, il vient de repousser une nouvelle fois les limites du cinéma. Mais se faisant, il vient peut-être de dévoiler les siennes.

Avatar : La voie de l’eau

Avatar : La voie de l’eau – Fiche technique

Titre original : Avatar: The Way of Water
Réalisation : James Cameron
Scénario : James Cameron, Josh Friedman
Musique : Simon Franglen
Acteurs principaux : Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver, Stephen Lang, Kate Winslet…
Sociétés de production : Lightstorm Entertainment et 20th Century Studios
Société de distribution : 20th Century Studios et Walt Disney Studios Distribution
14 décembre 2022 en salle / 3h 12min / Science fiction, Aventure, Fantastique, Action

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