critique-9-doigts-fj-ossang

9 Doigts de F.J Ossang, Cargo d’ennui

Auréolé du prix de la mise en scène au dernier festival de Locarno, l’artiste punk F.J Ossang débarque avec son 5ème long-métrage en plus de 30 ans, 9 Doigts. Un voyage étrange à bord d’un cargo rempli de gangsters qui sert une histoire beaucoup trop nébuleuse, malgré une recherche formelle toujours exigeante.

Après Bertrand Mandico au mois de février, un autre réalisateur au style tout aussi unique nous emmène faire un petit tour en bateau dans le cinéma de genre français. Les ressemblances entre les deux cinéastes s’arrêtent cependant ici. F.J Ossang est un artiste rare dans le paysage cinématographique français. 5 films en 33 ans, de quoi faire rougir Terrence Malick. Surtout connu pour des œuvres telles que Le Trésor des îles chiennes ou L’Affaire des divisions Morituri, F.J Ossang a développé une esthétique punk, mettant en avant un noir et blanc aux allures apocalyptiques, et une certaine dose de nihilisme. Avec ses films exigeants, montrant une démarche auteurisante extrême, Ossang pouvait laisser assez facilement ses spectateurs sur le carreau, mais le bonhomme montrait cependant toujours une grande capacité à créer des univers impressionnants comme en témoigne l’atmosphère post-apo qui émane de Le Trésor des îles chiennes, film dans lequel Ossang utilise au maximum le potentiel cinégénique de l’archipel des Açores. Point commun avec 9 Doigts, son dernier né dans lequel on retrouve l’âpre côté volcanique des îles portugaises. Ossang délaisse cependant ici la science-fiction pour nous offrir ce qui semble être dans un premier temps un film noir.

Comme souvent avec Ossang, il s’avère difficile de résumer brièvement l’histoire de 9 Doigts. Il est question de Magloire, un homme qui se retrouve enrôlé par une bande de gangsters pour un braquage. Lors de leur fuite, les malfrats vont se retrancher dans un cargo qui semble transporter une étrange marchandise. Au cours du voyage, plusieurs événements particuliers vont survenir, certains membres de l’équipage vont commencer à être atteints de folie, tandis qu’à côté de ça une île composée de déchets semble exercer une influence néfaste sur le cargo. D’autant plus que tout cela paraît s’imbriquer dans une machination de plus grande ampleur. À partir de là, on peut très vite comprendre que le récit de 9 doigts s’avère être on ne peut plus nébuleux. Surtout que Ossang n’est pas quelqu’un qui s’intéresse à des récits linéaires, et n’hésite pas à divaguer et à courir plusieurs lièvres à la fois. Sur un film de 1h40, tout cela peut s’avérer assez vite pénible, et il est difficile de se trouver une amarre pour se raccrocher. Évidemment pour pimenter tout ça, Ossang aime les dialogues très abscons devenant là aussi rapidement imbuvables, et alimentant facilement les détracteurs qui parlent de masturbation auteurisante. On peut très facilement résumer la démarche de Ossang à une interrogation posée par le personnage de Magloire à celui incarné par Lionel Tua, adepte d’envolées lyriques métaphoriques, qui lui demande : pourquoi est-il si énigmatique ? Ossang semble décidé à rendre son œuvre la moins compréhensible possible.

Malgré son fond qui lui porte préjudice, 9 Doigts dispose d’un travail formel non négligeable. Ossang retourne à ses premières amours du noir et blanc. Il y développe ici une ambiance très film noir au travers de l’éclairage et de jeux de lumières. Il mélange tout cela avec un expressionnisme appuyé, le personnage de Gaspard Ulliel semblant tout droit sorti d’un film de Murnau. Forcément on se doute bien qu’Ossang ne va pas rester dans une optique très classique et ne va pas se priver à essayer quelques expérimentations. S’amusant à jouer avec la forme du cadre ou avec des surimpressions, le cinéaste français arrive à nous sortir de la torpeur grâce à quelques idées plutôt innovantes. Tout cela laisse cependant un goût assez amer dans la bouche et semble au final beaucoup trop gratuit. La poésie s’enraye et tout tombe à plat. En seulement 5 films, on semble déjà avoir fait le tour de ce que veut nous raconter F.J Ossang. C’est un peu dommage car malgré tous les défauts de 9 Doigts, on sent une fougue qui ne s’est pas éteinte. Il manque juste quelque chose pour que tout s’embrase à nouveau et donne naissance à un morceau de cinéma puissant et féroce comme l’était un peu Le Trésor des Îles Chiennes.

9 Doigts – Bande Annonce

9 Doigts – Fiche Technique

Réalisateur : F.J Ossang
Scénario : F.J Osang
Interprétation : Paul Hamy, Damien Bonnard, Gaspard Ulliel, Pascal Greggory, Diogo Doria, Elvire
Directeur de la photographie : Simon Roca
Distribution (France) : Capricci Films
Durée : 99 minutes
Genre : Polar
Date de sortie (France) : 21 Mars 2018

France – 2018