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Collectif : les expositions qui vous ont le plus marqué

Aujourd’hui, alors que l’Abécédaire artistique prend quelques vacances, la rubrique Arts & Culture du Mag du Ciné vous propose de découvrir trois témoignages d’expositions qui ont marqué les membres de notre rédaction. Au programme : Tintin, la censure au cinéma et art contemporain.

En tant que fan de Tintin et très grande fan de Corto Maltese, les expositions consacrées à Hergé au Grand Palais (2016-17) et à Hugo Pratt au Musée des Confluences (2018-19) ont été de très beaux moments pour moi (et elles semblaient réunir des fans qui s’y rendaient pour le partage).
D’abord, les deux expositions présentaient de nombreux croquis et dessins inédits que j’ai été très heureuse de découvrir pour la première fois. Des documents qui nous immergeaient véritablement dans l’envers du décor des planches à la découverte de la méthode de travail des artistes. Ensuite, les scénographies, très différentes, rendaient un bel hommage à l’univers visuel des bande-dessinées : je me souviens de couleurs vives, d’un aspect très publicité et un peu vintage, et d’une chanson de David Bowie que les gens fredonnaient, quand ils l’entendaient dans l’exposition consacrée à Hergé.
En revanche, celle consacrée à Hugo Pratt avait un côté plus sobre dans la mise en scène (les murs étaient noirs) mais justement, ce choix mettait en valeur les objets et les planches présentées et faisait de l’exposition un long chemin, un voyage dans les mondes de Corto Maltese. Deux très beaux moments pour moi.

Du 29 avril au 31 octobre 2013, aux Archives générales du Royaume, à Bruxelles, se tenait l’exposition « Enfants non admis ». Cette dernière racontait septante années de censure organisée par les pouvoirs publics par le truchement d’une Commission de contrôle des films un peu trop zélée. Une mise en perspective historique, des archives inventoriées, des extraits de procès-verbaux, des vidéos édifiantes et des centaines d’affiches promotionnelles jalonnaient le parcours des visiteurs.
« Enfants non admis » partait alors d’un constat irréfutable : la Commission, par son activité, régulait drastiquement l’offre cinématographique. Les raisons ayant présidé à la classification des films, aux coupures de scènes et, parfois, à la censure pure et simple étaient nombreuses : érotisme, violence, blasphème, horreur ou politique. Plusieurs correspondances entre l’industrie et la Commission permettaient de lever le voile sur les désaccords, les doléances et les arrangements en œuvre pendant plus de septante ans. Les décisions rendues n’ont pas toujours résisté à l’épreuve du temps : certains films ont ainsi été soumis à plusieurs reprises, parfois à des années d’intervalle, dans l’espoir d’obtenir une révision de jugement. Cette seconde chance, une planche de salut offerte par l’évolution des mœurs, tend à révéler l’extrême variabilité des positions exprimées. Car ce qui est intolérable dans les années 1920 se banalise quarante ans plus tard.
Bien qu’elle fût la seule autorité habilitée à délivrer la mention « Enfants admis », la Commission de contrôle des films ne pouvait être qualifiée de censeur, puisque les producteurs lui soumettaient volontairement leurs œuvres. Un fait qu’il convient cependant de nuancer : se priver du public familial revenait en effet souvent à se tirer une balle dans le pied. Alors, pendant longtemps, pour espérer une place dans les petits papiers de l’instance publique, tous se devaient de bannir de leurs œuvres le suicide, le divorce, la nudité ou encore l’atteinte à l’autorité, qu’elle soit parentale, judiciaire, policière ou politique. Des exigences qui font parfois écho au tristement célèbre code Hays, qui a régulé le cinéma américain entre 1934 et 1966, une période frappée du sceau de la rigueur morale et de l’autocensure.
Il faudra attendre les années 1960 pour voir l’influence de la Commission s’éroder. L’essor de la télévision et l’évolution des mentalités lui portent un premier coup dommageable. La multiplication des écrans, la permissivité croissante et la diversification des loisirs auront définitivement raison d’elle durant les années 1990…

L’exposition qui m’a le plus marqué fait partie de la collection permanente du musée Guggenheim de Bilbao, dans le nord de l’Espagne. J’avais environ quinze ans et nous faisions un voyage scolaire. Notre professeure d’espagnol nous a laissé quartier libre dans ce musée très avant-gardiste, et ce dès l’architecture – des ondulations de métal qu’on doit à Frank Gehry.
Outre les immenses ascenseurs et les passerelles, c’est l’oeuvre The Matter of Time de l’artiste américain Richard Serra, qui a laissé l’impression la plus durable dans mes souvenirs. Cette oeuvre monumentale, à mi-chemin entre sculpture et installation se déploie dans une salle tout en longueur qui lui est entièrement dédiée. Composée de huit éléments de sculpture en acier patinable, elle a été réalisée par l’artiste de 1994 à 2005. Il s’agit d’un ensemble de courbes, ellipses doubles et spirales de plusieurs mètres de haut, qui entraînent le spectateur à leur découverte comme dans un parcours.
Si cette œuvre m’a tant marquée, c’est pour son côté inattendu. Nous étions des adolescents dans un musée d’art contemporain, tout nous semblait étrange et drôle, mais avec cette œuvre, je me souviens avoir tout à coup ressenti quelque chose de différent. Il y a une gravité, une magie dans le fait de circuler dans et entre ces courbes immenses, couleur rouille, qui nous dépassent largement et deviennent notre horizon. Ce jour-là, le musée était presque vide, nous étions seuls à déambuler, courir, s’émerveiller de ce parcours totalement hors du commun. On suit la paroi en ignorant où elle nous entraîne, on est coupé du monde. C’est une véritable expérience, une œuvre qu’on vit, qu’on ressent, qu’on regarde sous tous les angles.

Pour en savoir plus sur l’oeuvre : www.guggenheim-bilbao.eus/fr/la-collection/oeuvres/la-matiere-du-temps