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« Un Palais au village » : schisme chinois

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions La Boîte à bulles publient Un Palais au village, de la scénariste et dessinatrice Minna Yu. Évoquant la Chine rurale et les mutations économiques à l’œuvre dans un pays-continent, ce récit autobiographique entre en résonance avec la grande Histoire.

La double page 56-57 donne le ton : une pelleteuse s’active devant les regards ébahis des villageois du « Trou du Serpent », une communauté minuscule encastrée dans une vallée. Nannan a cinq ans et est la narratrice d’Un Palais au village. C’est à travers son point de vue, faussement naïf, que le lecteur est appelé à découvrir la manière dont ce village rural est affecté par la construction du palais familial, avec en toile de fond les mutations économiques en vigueur dans la Chine des années 1990. Dessiné au crayon, ce récit autobiographique de Minna Yu est aussi sa première incursion dans la BD. Le défi est relevé haut la main, puisque trois dimensions s’y font écho : le développement de la Chine, l’épopée familiale et les affects d’une gamine encore trop jeune pour aller à l’école.

Au début d’Un Palais au village, on découvre Nannan vivant avec ses frères et sa mère dans une modeste maison. Elle passe ses journées avec ses amies ou aux champs, tandis que son père est en poste à Guangzhou. Ingénieur et entrepreneur après avoir essayé en vain la maçonnerie ou la récolte de sève de sapin, ce dernier, en pleine réussite, est en passe de révolutionner la vie sa fille. Car il revient au « Trou du Serpent » avec des cadeaux plein la valise et des projets plein la tête. Le moindre d’entre eux n’est certainement pas de solliciter la communauté pour l’aider à édifier un palais majestueux qui rayonnera au-delà même de la vallée. La fastueuse pendaison de crémaillère présentée dans les pages 88 et 89 en est la démonstration : Nannan et les siens sont devenus des gens importants. D’ailleurs, la télévision en couleurs ou le téléphone, objets encore rares à l’époque dans ces régions reculées de Chine, attirent l’attention – et les convoitises.

Doué de sensibilité, porté à hauteur d’enfant, Un Palais au village vaut autant pour son portrait de la Chine rurale que pour ce qu’il dit des migrations intérieures et du développement économique, à marche forcée, d’un pays-continent. Ce que Nannan vit en qualité d’enfant et de narratrice se déploie à l’échelle d’un pays entier : les effets d’un capitalisme exportateur… s’exportent des villes jusqu’aux villages les plus reculés. Et là où les traditions et la cohésion sociale l’emportaient prennent désormais place les mutations induites par les réformes de Deng Xiaoping, grand instigateur d’une ouverture sans bornes à la mondialisation. « La nouvelle maison est aussi luxueuse et grande qu’un château », annonce Nannan, avant d’ajouter plus loin, au sujet de la télévision : « Les yeux fixés sur l’écran, on ne veut pas en rater une seconde, c’est le moment le plus important de la journée. » C’est donc cela la nouvelle Chine, des scooters, des chambres avec salle de bain, des cristaux, des frigos (débranchés) et des bassins d’eau (vidés de leurs poissons). Un duplicata, avec des variations mineures (au-delà de la dimension politique), du mode de vie occidental. La narratrice semble en exprimer quelques regrets.

Un Palais au village, Minna Yu
La Boîte à bulles, juin 2022, 184 pages

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