TMNT : Reborn, dont le premier tome s’intitule « Renaissance », prend pour cadre un New York post-apocalyptique, où le facteur mutagène a non seulement altéré la biologie, mais également la société tout entière, ainsi que l’identité des principaux personnages de l’univers TMNT. Pour ce faire, ce premier épisode juxtapose les thèmes dystopiques (ségrégation, privations) à une exploration dramatique des rapports humains – ou plutôt, dans ce cas, mutants.
La quarantaine de New York, faisant suite à l’émanation d’un gaz mutagène, crée une ambiance de fin du monde dans l’univers TMNT. Les citoyens américains exposés se sont métamorphosés en Mutanimaux et se trouvent plongés dans un terrible exil existentiel, perdant famille, emploi et sens de l’ordre social. Scénariste et dessinatrice, Sophie Campbell charpente une société en situation d’apartheid, abandonnée à son sort, vivotant tant bien que mal, soumise à des maux de plus en plus prégnants. Les Tortues, elles aussi, subissent les soubresauts d’événements dramatiques récents. Divisées et démunies depuis la mort de leur père et mentor, Splinter, elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, passives, démobilisées, incapables de prendre langue l’une avec l’autre.
Ce qui ressort d’autant plus dans cette double déchirure, sociale et familiale, c’est l’exploration de l’impact psychologique du deuil. Inconsolables, Michelangelo ne s’occupe plus que de son chat, et Leonardo de sa serre. Raph’, débordé par ses émotions, a disparu des radars, comme souvent, et Donnie ne peut que constater les dégâts et regretter que ses amis, dont April, ne se montrent pas plus présents. C’est un peu comme si Splinter était ce lien indicible qui unissait toutes ces individualités dans une famille, proche et agrandie.
Les ambivalences morales : Hob et le clan Foot
Le personnage de Hob, pour sa part, reflète les dilemmes moraux d’un monde en ruine. Sa décision de vendre des mutants au clan Foot pour assurer ses arrières pose des questions éthiques qui n’échappent pas à ses compagnons d’armes. Est-ce que la fin justifie les moyens ? Se sentant marginalisé et inconsidéré par les autorités, Hob essaie de protéger sa communauté avec le peu de moyens dont il dispose. Et s’il faut commettre quelques entorses aux règles pour obtenir de la nourriture, il est prêt à l’accepter.
Cela nous renvoie, quelque part, à la philosophie utilitariste de John Stuart Mill. Jenny et Sally ne voient cependant pas les choses du même œil. Elles envisagent un autre type de réponse aux circonstances, en contribuant notamment à la refonte du clan Splinter, mais aussi en organisant un service alimentaire d’urgence. Les épreuves font ressortir des facettes parfois inattendues de la personnalité de ceux qui y sont confrontées. Hob prend des risques et se compromet ; Raphaël cherche à bouter Jenny en dehors de la famille, en minimisant sa douleur et en accordant à son propre exercice de deuil une nature supérieure. En ce sens, Sophie Campbell dépeint avec beaucoup de justesse les reliefs émotionnels et psychologiques de ses protagonistes.
Condition humaine en conditions inhumaines
Ce premier tome pose ainsi les jalons d’une nouvelle dynamique personnelle et collective, à travers les thèmes du deuil et de la refondation. Dans un New York dévasté, rejeté à la marge de la société, les Tortues doivent aller de l’avant, c’est-à-dire dépasser le stade d’une incommunicabilité parfaitement restituée par des séquences de la vie ordinaire quasi muettes, pour déboucher sur une ré-union, une nouvelle osmose.
Miroirs de la condition humaine, les mutants affrontent dans ce premier tome le déchirement social, l’ambiguïté morale, la perte d’un être cher et la déchéance de leur environnement immédiat. Dans ce maelström de changements, et alors que les nouveaux mutants se multiplient (phénomène encore sous-exploité), les Tortues Ninja se trouvent aux premières loges, prêtes à faire valoir la fraternité, la solidarité et la justice.
Les Tortues Ninja – TMNT Reborn (T1 : Renaissance), Sophie Campbell
HiComics, août 2023