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« Sapiens Imperium » : en quête de liberté

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Sapiens Imperium, de Sam Timel et Jorge Miguel, est une dystopie galactique aux enjeux bien ancrés dans le temps présent. Publiée aux éditions Les Humanoïdes associés, cette bande dessinée au long cours, riche en ellipses, raconte la révolte de prisonniers politiques traités en esclaves.

La guerre israélo-palestienne de 1948 et les exodes qui en ont découlé portent le nom de nakba, ce qui peut se traduire par désastre, ou catastrophe. Sapiens Imperium emploie le même vocable, c’est-à-dire catastrophe, pour un autre exode : celui des Kheleks et des peuples lui étant fidèles sur Tazma, une lune abritant une base militaire impériale et renfermant dans ses labyrinthiques grottes souterraines les descendants d’une dynastie déchue, réduits au dénuement et à la servitude. Le scénariste Sam Timel et le dessinateur Jorge Miguel inscrivent ainsi leur récit dans un futur dystopique : l’empereur Amarcord Thesol, de la dynastie Kerkan, règne sur 530 milliards d’êtres vivants et a placé sous son joug pas moins de 123 espèces considérées comme esclaves. L’histoire officielle, orwellienne, a même été expurgée des Kheleks et de leurs soutiens exilés sur Tazma, comme si ces derniers n’avaient en réalité jamais existé. Peu enclin au compromis, le gouvernement impérial jouit d’une latitude absolue dans l’administration de ses territoires. Des nervis ou des Metalnauts, des machines de combat dans lesquelles les miliciens projettent leur conscience, sont là pour s’en assurer.

Derrière un récit d’anticipation aux nombreux sous-propos (et rendu limpide par la chronologie clôturant l’album), Sapiens Imperium s’appuie sur des enjeux très actuels : la liberté, l’écologie, la spéculation sur les matières premières, la démocratie, le respect des droits humains, l’exploration spatiale… Amarcord Thesol revoit unilatéralement les termes du contrat qui le lie aux prisonniers de Tazma : ils devront augmenter leurs livraisons d’algue, sans quoi les denrées alimentaires leur étant dévolues, déjà maigres, se verront encore rationnées. Et peu importe si, « en exigeant davantage, il met lui-même en péril son fructueux trafic ». Les conditions de vie sur cette lune-prison sont à peine supportables, ce qui en fait un terrain propice aux ressentiments et à la désunion. Tôt dans le récit, Leorg, chef des Xlotis, organise une mutinerie – et un génocide – contre les Kheleks, assassinant le prince Baltar et contraignant sa femme Alanda, sa fille Xinthia, ainsi que Réa, sa propre sœur, à la fuite. Cela va générer une série d’événements qui verront des alliances se nouer, des conflits se dessiner et une maison impériale péricliter.

Elliptique et d’une densité remarquable, Sapiens Imperium ne raconte pas seulement la volonté d’affranchissement d’une communauté multiraciale de prisonniers politiques. L’album met en scène un empire vacillant sur ses bases, marqué par l’opposition entre deux frères au tempérament contradictoire. Les héritiers de la dynastie Kerkan, Eléa et Ergun, représentent en effet les deux faces du pouvoir : le premier se montre modéré, doué d’humanité, favorable au dialogue envers les détenus séditieux, quand le second, mû par un sentiment d’infériorité et aveuglé par la haine et la mégalomanie, en appelle à leur extermination. La caractérisation des Lektars n’est pas non plus sans intérêt, puisqu’ils voient se porter sur eux toutes sortes de jugements acrimonieux, en raison de leur rôle d’intermédiaires entre Tazma et les forces impériales et ce, alors même qu’ils disposent d’un statut à peine plus enviable que celui des prisonniers. À ces éléments, de la conservation du pouvoir kerkan au plan d’évasion des détenus, viennent se mêler une romance, la découverte d’un eldorado primitif (prétexte à une métaphore sur la peur et l’échange) et une conclusion malheureusement assez décevante.

Au dessin, Jorge Miguel fait mouche. Décors sophistiqués, scènes spectaculaires, expressions parfaitement restituées, mise en images ingénieuse (avec parfois des détails situationnels venant se greffer sur un plan d’ensemble, comme lors de l’exploration des réseaux souterrains) : l’illustrateur portugais offre au scénario de Sam Timel un écrin à la hauteur de ses ambitions. La première d’entre elles, qui n’a rien d’une sinécure, consistait sans doute à multiplier les axes de réflexion sans empeser le récit. Sapiens Imperium y parvient avec succès.

Aperçu : Sapiens Imperium (Les Humanoïdes associés)

Sapiens Imperium, Sam Timel et Jorge Miguel
Les Humanoïdes associés, juin 2021, 112 pages

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3.5
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