Robert Badinter est une figure incontournable de la République française, qui incarne peut-être mieux que quiconque le combat pour la justice, la dignité humaine et l’abolition de la peine de mort. Le roman graphique publié aux éditions Marabulles par Pascal Bresson et Christopher, basé sur le livre Robert Badinter, l’homme juste de Dominique Missika et Maurice Szafran, met en lumière un parcours exceptionnel. Entre héritage familial, épreuves personnelles et luttes politiques, l’œuvre illustre l’émergence d’un homme dont la vie a façonné une partie de l’histoire contemporaine française.
Né en 1928 dans une famille juive ancrée à gauche, Robert Badinter grandit dans le XIe arrondissement de Paris. Son éducation intellectuelle et bourgeoise, relativement feutrée, n’empêche pas une réalité plus sombre : l’antisémitisme rampant. L’adolescent est bientôt confronté aux violences de son époque, des graffitis antisémites sur les murs aux bagarres à l’école, sans oublier cette exposition infâme véhiculant les pires clichés sur les Juifs.
L’Occupation marque un tournant tragique et se taille une bonne place dans cette biographie graphique : sa famille fuit Paris pour Lyon après la montée des persécutions. Son père, désespéré par l’horreur de la guerre, est finalement déporté et ne reviendra jamais. Cette période oblige Robert, encore adolescent, à assumer des responsabilités précoces. La perte de ses proches, notamment de sa grand-mère Idiss, laissée seule à Paris en raison d’une grave maladie, symbolise la brutalité d’un monde en guerre et forge sa détermination à lutter contre l’injustice.
Victor Hugo, héros littéraire et politique de Robert Badinter, constitue un pilier moral et intellectuel. Ardent défenseur de l’abolition de la peine de mort, le romancier inspire profondément Badinter, qui considère ses écrits comme un cri de l’âme contre l’inhumanité. Cette référence, présente dès le début de l’album, guide ses premiers pas dans le droit, où il s’illustre cependant d’abord dans la défense des droits d’auteur et de la liberté de la presse.
Si sa carrière d’avocat commence modestement, Robert Badinter se distingue rapidement par son engagement dans des affaires sensibles. Il défend des figures comme Charlie Chaplin (pour les droits de The Kid), rencontre sa future épouse Élisabeth, puis en vient à l’affaire Roger Bontems, décisive quant à son avenir judiciaire et politique.
Le 28 novembre 1972, Robert Badinter assiste, impuissant, à l’exécution de son client Roger Bontems, condamné pour complicité de meurtre malgré l’absence de preuves directes. Ce moment terrible, auquel il a longtemps refusé de croire, marque un tournant. Le simulacre cruel et l’irréversibilité de la peine de mort renforcent son rejet catégorique de cette pratique. Partant, Robert Badinter se dévoue entièrement à l’abolition, malgré les menaces de mort et les campagnes de haine dont il est victime.
Considéré comme « l’avocat des assassins », il affronte en effet l’opinion publique défavorable, avec une persévérance inébranlable. Son combat culmine en 1981, sous la présidence de François Mitterrand, lorsque l’Assemblée nationale vote l’abolition de la peine capitale. Ce moment historique, auquel il contribue en tant que ministre de la Justice, scelle son héritage comme un défenseur acharné des droits de l’homme.
Ce roman graphique, fidèle à l’histoire de Robert Badinter, offre une plongée passionnante dans une vie jalonnée d’épreuves et de triomphes. De l’antisémitisme de son enfance, dont le climax demeure ce drapeau nazi placé en haut de la Tour Eiffel, à sa lutte contre le châtiment suprême, le parcours de l’ancien avocat résonne comme un appel farouche à défendre la dignité humaine. C’est une invitation à réfléchir aux valeurs de justice et de solidarité, dans la lignée de figures comme Victor Hugo ou Simone Veil.
Robert Badinter, Pascal Bresson et Christopher
Marabulles, novembre 2024, 176 pages