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« Rain » : catastrophe climatique, perdition humaine

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions HiComics publient Rain de Joe Hill, David M. Booher et Zoe Thorogood. Ce comic prend pour cadre un monde plongé en pleine apocalypse, en s’inscrivant dans les pas d’un personnage haut en couleur, la jeune femme Honeysuckle Speck.

Dans sa préface, Joe Hill revient longuement sur la bonne manière de distiller un message dans un récit fictionnel. Le respect du lecteur et la durabilité du propos dépendent en effet de plusieurs facteurs. Une fiction subtile permettra à chacun de tirer ses propres conclusions plutôt que d’imposer une vision, ou de donner l’impression de nous tenir par la main de manière docte ou professorale. Une approche trop didactique peut rebuter, parasiter l’immersion du lecteur, déjouer ses attentes, tandis qu’une narration plus subtile contribuera certainement à l’universalité et la durabilité du message.

Ces leçons, Joe Hill et le scénariste David M. Booher, qui adapte ses écrits, les appliquent d’abord à eux-mêmes. Rain évoque le désastre écologique en imaginant des averses imprévisibles d’aiguilles mortelles. Dans un monde où chaque nuage renferme de quoi décimer des villes entières, l’espoir s’estompe, les animaux n’ont aucun refuge et la flore, faute d’eau, se meurt à petit feu. Cette faillite des éléments s’accompagne de la perdition des hommes : pillards, meurtriers, fanatiques peuvent laisser libre cours à leurs pulsions les plus primaires, comme si la dégradation de leur environnement immédiat conditionnait celle de leur esprit – et de leurs actes.

Rain s’amuse aussi beaucoup aux dépens de Donald Trump, à travers un président annonçant l’entrée en guerre de son pays sur les réseaux sociaux et exploitant la catastrophe… en vendant des parapluies en métal sur son site Internet. Et si l’allusion n’est pas suffisamment claire, il suffit de lire ce slogan, ô combien ironique : « Make America Rain Again ». Cela étant, l’essentiel est ailleurs. Le personnage de Honeysuckle Speck est une lesbienne évoluant dans une Amérique conservatrice. Abandonnée par sa famille, il en a reconstitué une autre, de substitution. Ces différents éléments vont nourrir Rain et lui donner une portée très intéressante.

Boulder, petite localité sise dans le Colorado, devient le théâtre d’expression de dérives sectaires religieuses, mais aussi de vengeances lâches, à travers lesquelles des fascistes qui s’ignorent révèlent leur véritable nature. Le voisin jusque-là bizarre devient ainsi un criminel sans pitié, tirant profit du chaos ambiant pour exercer sa haine et son homophobie. Dans son périple visant à rejoindre Denver et son beau-père, Honeysuckle Speck est par ailleurs accompagnée de Marc Despot, un homme croisé par hasard et qui lui sera d’un grand secours, mais surtout de Templeton, un enfant terriblement attachant, devant fuir les rayons du soleil – et surtout un lourd passif familial.

« Mini-Dracula », comme on le surnomme, apporte un contraste saisissant avec ce que l’humanité régurgite en ces temps troubles. C’est aussi par son truchement que les révélations finales vont être apportées. Souvent fléchées, cousues de fil blanc, elles apparaissent ici plus inattendues et apportent une dimension supplémentaire à l’histoire. Graphiquement réussi (et doté de vignettes parfois macabres), Rain est un album solide, passionnant, articulé autour de personnages forts et qui se déploie à travers une symbolique riche, porteuse de sens.

Rain, Joe Hill, David M. Booher, Zoe Thorogood et Chris O’Halloran
HiComics, septembre 2023

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