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« Proies et prédateurs » : dévorer la Terre

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les Futurs de Liu Cixin accueillent un sixième tome intitulé « Proies et prédateurs » aux éditions Delcourt. Jean-David Morvan et Yang Weilin y dépeignent un monde au bord de l’apocalypse, menacé par des extraterrestres cherchant à puiser sur Terre de quoi satisfaire leurs appétits. Et si nous n’étions plus qu’une ressource en sommeil, similaire à celles que nous exploitons au quotidien, parfois éhontément ?

Sans en dévoiler tous les tenants et aboutissants, on peut avancer que « Proies et prédateurs » repose un cycle ininterrompu de prédations. À l’heure où les rapports climatiques et environnementaux alarmants s’accumulent, cette adaptation de Liu Cixin questionne à nouveau notre (in)capacité à vivre en harmonie avec la nature et à préserver l’équilibre d’une planète dont nous exploitons de manière non durable des ressources qui ont mis des siècles à se former. Il se trouve que cette réflexion traverse dans l’album plusieurs temporalités et circule sans heurts d’une civilisation à l’autre, les auteurs s’employant à diaboliser certains comportements pour ensuite nous révéler, de manière subtile, en quoi nous tendons à les reproduire nous-mêmes. Ce n’est pas un hasard si Cristal, l’entité ayant parcouru l’univers pour prévenir l’humanité du danger qu’elle encourt, finit lasse et résignée par l’attitude irresponsable des hommes.

Le pitch paraît presque trop simple : un émissaire informe l’ONU qu’un vaisseau spatial gigantesque, baptisé le Dévoreur, s’approche de la Terre en vue d’en absorber toutes les ressources. Partant, nos représentants vont dialoguer avec les envahisseurs, sortes de dinosaures anthropomorphiques, et chercher à déjouer leurs plans. La menace est sérieuse, et définitive : les hommes pourraient à terme être cultivés afin que les extraterrestres puissent en consommer la viande, tandis que la planète bleue serait ponctionnée par ce qui ressemble à un réseau tentaculaire de trompes aspirantes. Les parallèles avec l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles sont limpides, mais l’histoire se tapisse de bonds temporels et se densifie dès lors que les agissements des uns et des autres se voient mis en miroir.

Pertinent sur le fond, soigné sur la forme, « Proies et prédateurs » se replie par moments sur un antagonisme central, qui oppose un soldat à la longévité artificiellement étendue et un émissaire extraterrestre ravi d’échanger (enfin) avec quelqu’un qui a du répondant. L’oppresseur est aveuglé par son orgueil, l’oppressé plus retors et résilient qu’il n’y paraît. Mais de cette lutte feutrée puis frontale, c’est un vainqueur inattendu qui va émerger. Et là aussi, dans un final assez poétique et faisant sens, la dimension écologique du récit apparaît réaffirmée. Du reste, on se réjouira de l’inventivité de l’histoire, de la caractérisation, par analogies, de nos pires instincts et de ces visions cauchemardesques d’une planète autrefois idyllique et désormais victime de ses déséquilibres et de son anémie « anthropocénique ».

Les Futurs de Liu Cixin : Proies et prédateurs, Jean-David Morvan et Yang Weilin
Delcourt, octobre 2022, 108 pages

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