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« Poutine » : une carrière sous le sceau du KGB

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Scénariste et dessinateur britannique, Darryl Cunningham publie aux éditions Delcourt l’album Poutine, l’ascension d’un dictateur, une biographie dessinée entendant lever le voile sur les déficits démocratiques d’un régime autoritaire et corrompu.

Sur la couverture de Poutine, l’ascension d’un dictateur, le maître du Kremlin scrute un monde miniaturisé, qu’il tient à sa portée, fermement coincé entre ses doigts. Des campagnes militaires en Syrie ou en Ukraine aux assassinats méthodiques de ses opposants politiques ou les ingérences dans les processus électoraux occidentaux, Vladimir Poutine semble en effet faire peu de cas de la Convention de Genève, du droit international et des principes démocratiques les plus élémentaires. Très critique envers l’actuel président russe, Darryl Cunningham retrace son parcours des quartiers pauvres de Leningrad (actuelle Saint-Pétersbourg) jusqu’aux immenses palais dont il nie être le propriétaire, le tout sur fond de corruption, d’autoritarisme et de violence politique. Documentée, relativement complète, cette biographie n’oublie aucune des grandes étapes de la carrière politique de l’ancien agent du KGB.

Petit, il arpente des cours d’immeuble infestées de rats et tient tête, malgré sa chétivité, à ceux qui se risqueraient à lui chercher des noises. Blessé durant la guerre par une grenade allemande, son père travaille ensuite dans une usine de construction de wagons pour les chemins de fer soviétiques, tout en poursuivant ses activités parallèles pour le KGB. Leur situation financière s’améliore et à la maison, la famille Poutine possède désormais télévision et téléphone, chose plutôt rare à l’époque en URSS. Le jeune Vladimir rêve à son tour de rejoindre le KGB et c’est à cet effet qu’il se met au sambo, un mélange de judo et de lutte, et qu’il décroche un diplôme de droit en 1975. Une fois en place, il travaille notamment en Allemagne, où il aide les services secrets soviétiques à transférer des technologies occidentales à l’Est en recrutant des scientifiques et des hommes d’affaires. Il s’occupe aussi des agents dormants, pour lesquels il a une grande considération (ils se sacrifient sans sourciller pour la cause nationale).

L’Union soviétique de Gorbatchev est alors en voie de désintégration. Vladimir Poutine intègre bientôt l’Administration de Leningrad, touchée par les pénuries et l’inflation, et menacée par les émeutes. Là-bas, on le trouve associé à un premier scandale : l’affaire de la viande manquante, un acte de corruption rendu possible par le recours à des contrats frauduleux. Il continue son ascension au sein du KGB (il prendra la tête du FSB), voit un petit groupe d’oligarques dépecer l’Union soviétique en s’appropriant les bons de privatisation distribués par Eltsine, puis profite de la faiblesse de ce dernier pour se voir désigné président. Débutent alors une guerre sans pitié en Tchétchénie, les bombardements de Groznyi, les attentats dans les théâtres et les écoles, où l’intervention de ses services de sécurité est souvent dénoncée. Ceux qui dérangent le pouvoir, de Goussinski à Berezovsky, doivent quitter la Russie, tandis que d’autres, comme Iouchtchenko ou Khodorkovski, sont empoisonnés ou jetés en prison. Leurs torts ? Berezovsky dirige un groupe médiatique hostile au pouvoir, Iouchtchenko aspire à rapprocher l’Ukraine de l’Occident, Khodorkovski est à la tête d’une fortune colossale et de Ioukos, la deuxième plus grosse entreprise pétrolière de Russie.

Avec didactisme, et en faisant preuve de réserve quand c’est nécessaire, Darryl Cunningham revient sur les affaires Anna Politkovskaïa (une journaliste critique envers Poutine et assassinée après une première tentative d’empoisonnement), Litvinenko (empoisonné au polonium), Nemtsov (assassiné à proximité de la place Rouge) ou encore Navalny (empoisonné lui aussi). L’auteur rappelle comment Poutine a désigné Medvedev comme successeur dans un jeu de chaises musicales politiques, la manière dont les droits des homosexuels ont été bafoués en Russie et surtout en Tchétchénie, les scandales inhérents à l’organisation des jeux de Sotchi (avec des expropriations, de la corruption, etc.), les investissements douteux de sociétés anonymes russes en Occident ou encore les liens étranges que semblent entretenir Trump et les autorités russes… On ne peut nier que l’ensemble donne le vertige. Toutes ces affaires, présentées en faisceau, constituent un puissant témoignage à charge contre un président autoritaire dont le règne, décrit comme dictatorial, ne cesse de s’affirmer.

Poutine, l’ascension d’un dictateur, Darryl Cunningham
Delcourt, mai 2022, 184 pages

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