Dans Opium War, Jean-Yves Delitte et Q-Ha plongent le lecteur dans les tumultes de l’histoire sino-occidentale. L’album, paru aux éditions Glénat, propose un récit dense et nuancé retraçant les événements présidant aux Guerres de l’Opium, qui ont redéfini le destin de la Chine et ses liens avec les puissances occidentales.
Opium War s’ancre dans un contexte historique où l’Empire Chinois, longtemps autosuffisant et réticent aux interactions étrangères, se trouve contraint d’ouvrir ses portes aux puissants marchands européens, et plus spécifiquement britanniques. Le XVIIIe siècle marque le début de cette interaction commerciale, avec le commerce du thé, rapidement supplanté par celui, bien plus lucratif pour les Anglais, de l’opium. Le récit de Jean-Yves Delitte explique les raisons qui ont conduit à l’interdiction de son importation par l’Empereur, dans un contexte de divisions internes et de ravages sanitaires.
La résistance de la Chine va déclencher une série de conflits armés, particulièrement entre 1839 et 1842, où le Royaume-Uni impose sa suprématie navale, forçant la Chine, humiliée, à concéder de nombreux privilèges : nouvelles concessions territoriales, ouverture au commerce de nouveaux ports, liberté de culte (permettant l’évangélisation des Chinois), paiement d’indemnités de guerre et possibilité d’apporter aux Amériques une main-d’œuvre locale bon marché. L’album explore la dynamique qui a mené à ce résultat désastreux pour l’Empire du Milieu, en soulignant l’avidité croissante des nations occidentales, incluant plus largement la France et les États-Unis, dans leur quête impérialiste.
Opium War se caractérise en premier lieu par son exploration multidimensionnelle des événements. Jean-Yves Delitte et Q-Ha ne se contentent pas de raconter les confrontations militaires, mais éclairent également sur la décadence de la dynastie Qing, les révoltes internes telles que celles des Turbans Rouges et du mouvement Taiping ou encore sur les états d’âme des combattants des deux camps, apparaissant de plus en plus désireux de rentrer chez eux et de mettre un terme à un conflit qu’ils ne semblent pas comprendre. La stratégie britannique consiste d’abord à ajouter des forces navales aux convois maritimes pour contrer la piraterie, et l’incident du navire « Arrow » servira de catalyseur au conflit.
L’œuvre offre ensuite une perspective nuancée sur les tensions sino-britanniques. Elle illustre parfaitement le racisme britannique anti-asiatique à travers le personnage de Holman et se penche aussi, plus discrètement, sur les répercussions psychologiques et culturelles de ces guerres sur les deux nations. Le récit dépeint les soldats, tant chinois qu’anglais, comme étant pris dans un conflit dont les enjeux leur échappent, anticipant un affrontement sanglant exacerbé par la parité en matière d’armement. Tous ces éléments sont remis en perspective dans un dossier didactique présent en fin d’album et utile à la bonne compréhension des enjeux – bien que la bande dessinée soit suffisamment claire en la matière.
En définitive, Opium War revient sur une période trouble et profondément marquante pour la Chine. L’album fait état de Britanniques parfois enivrés par le Traité de Nankin de 1942, la concession à vie de Hong Kong ou les droits douaniers acquis. Ces ingrédients, liés à une cupidité exacerbée, ont fait le lit des tensions, l’Empereur rechignant en plus à apparaître faible alors qu’il était déjà peu ménagé par certaines organisations locales. Jean-Yves Delitte et Q-Ha donnent à l’excellente collection « Les Grandes Batailles navales » l’un de ses titres les plus convaincants.
Opium War, Jean-Yves Delitte et Q-Ha
Glénat, novembre 2023, 56 pages