Mou-avis

« Mou » : désirs

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec Mou (éditions Dupuis, 96 pages), Benoît Feroumont nous entraîne dans une fable « érotique » et incongrue où Charles, loser transformé en monstre à tentacules, devient un peu malgré lui le fantasme numéro un des environs. Le récit questionne la nature du désir dans une société en quête perpétuelle de sensations.

Au grand dam de sa mère, qui rêverait de le voir donner cours à des lycéens, Charles travaille pour une société de livraison et mène une vie relativement insignifiante. Sur le plan amoureux, ce n’est guère mieux : en proie à une timidité paralysante, il n’est pas tout à fait le genre d’homme à multiplier les conquêtes. Sa vie prend toutefois un tournant inattendu lorsqu’il rencontre Paola, une jeune chimiste, dans un bar. Leur nuit ensemble s’achève sur une note décevante, mais c’est en buvant une boisson expérimentale qu’elle conservait dans son frigo que le jeune homme voit son destin basculer. Il se réveille en effet le lendemain… métamorphosé en un monstre difforme doté de tentacules.

Le quotidien de Charles change radicalement. Il se cache dans les égouts, puis trouve refuge dans une salle de bain inoccupée et, par un enchaînement de circonstances, commence à satisfaire les désirs de diverses femmes. La première scène de l’album, où une créature donne du plaisir à une femme sous les draps, prend alors tout son sens : la nouvelle fonction de Charles est purement sexuelle, et c’est le manque d’attention, ou de savoir-faire, des hommes qui est questionné à travers elle. Les nouveaux talents inattendus de Charles le rendent désirable malgré son apparence repoussante. Cette vie nouvelle est à la fois une bénédiction et une malédiction : Charles découvre une puissance et une confiance en lui qu’il n’avait jamais connues auparavant, mais cette popularité attire également la colère.

Parmi les nombreuses femmes qu’il rencontre, deux relations se distinguent particulièrement. Isabelle, une femme aveugle, offre à Charles une relation de confiance et de tendresse. Elle l’héberge et le console, leur relation étant marquée par une authenticité rare dans ce nouveau quotidien tumultueux. À l’opposé, Daisy incarne une possessivité quasi insupportable. Elle est notamment obsédée par l’idée de matérialiser le fantasme de L’Ama et le Poulpe de Hokusai. Ces deux relations antagoniques montrent les différentes facettes de l’amour et du désir, contrastant entre l’affection sincère et la possession destructrice. Feroumont procède par monstration, il ne s’appesantit pas sur ces faits, mais s’en sert néanmoins pour évoquer la nouvelle vie de Charles.

Bientôt traqué par des milices en colère, ce dernier subit les contrecoups de son succès et de sa popularité. Une chasse obstinée qui symbolise la répression de la différence et la peur de l’impuissance, des thèmes que Mou explore avec une touche d’humour noir et de satire sociale. Car il s’agit aussi de dénoncer, de manière légère et amusée, les hypocrisies et les violences de la société moderne, qui carbure aux apparences, aux fantasmes et aux désirs immédiats. Autant de choses que Charles permet de problématiser.

Mou, Feroumont
Dupuis, mai 2024, 96 pages

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