Avec Mobilis, Juni Ba revisite le mythe du capitaine Nemo en mêlant science-fiction, récit initiatique et réflexion écologique. Ce roman graphique, publié aux éditions Bayard, nous immerge dans un univers post-apocalyptique où l’espoir côtoie le désenchantement, et où le destin d’une jeune fille bouleverse celui d’un capitaine blasé et hanté par ses souvenirs.
Juni Ba s’empare du chef-d’œuvre de Jules Verne pour le transposer dans un monde englouti par les eaux. La surface de la Terre et l’humanité telle qu’on l’a toujours connue ne sont plus que de lointains souvenirs. À bord du Nautilus, Arona, une rescapée recueillie par le capitaine Nemo, découvre un environnement à la fois fascinant et oppressant. Si Nemo, fidèle à sa légende, incarne une figure distante et tourmentée, Arona, pleine de vie et d’espoir, s’érige en contrepoint lumineux. Leur relation, conflictuelle mais évolutive, donne à Mobilis sa profondeur émotionnelle et narrative. Le vieux capitaine va d’ailleurs devenir un mentor et un père de substitution pour la jeune fille.
Désespéré face à une humanité autodestructrice, Nemo trouve en Arona, jeune et tenace, quelqu’un qui cherche à raviver une étincelle d’espoir. Elle aimerait accomplir un acte qui aidera les hommes à recouvrer leur vie passée. Les dialogues, souvent tendus, révèlent des failles émotionnelles profondes chez les deux personnages. Et Nemo, malgré sa réticence initiale, finit par enseigner à Arona des savoirs variés allant de la littérature classique (Moby Dick) à la géophysique. Il la prend sous son aile, s’ouvre à elle, mais, cependant, cette transmission de savoir est teintée d’une mélancolie palpable, liée aux secrets que Nemo cache jalousement, notamment les raisons tragiques de sa solitude et le sort de son équipage…
Mobilis porte en son sein un message puissant sur l’Anthropocène et les conséquences des actions humaines sur la planète. À travers l’immensité hostile des océans et les ruines submergées, le récit met en lumière les ravages de la négligence environnementale. La mer, autrefois exploitée et dominée par l’homme, est devenue le domaine des monstres, miroir des excès de l’humanité. Juni Ba procède en fait par dualité : un passé regretté et un présent chaotique, un vieillard désenchanté et une jeune idéaliste, un dehors menaçant et un intérieur sécurisant…
Visuellement, l’auteur franco-sénégalais impressionne par sa capacité à alterner entre des scènes intimes et des panoramas grandioses. Le trait, à la fois vif et expressif, traduit parfaitement les émotions des personnages, accentuant leur humanité dans un monde qui, lui, apparaît déshumanisé. Le récit est tout aussi maîtrisé : il mêle habilement les moments d’action, d’introspection, de contemplation et de suspense. La progression d’Arona, de l’innocence à la prise de conscience, et l’évolution de Nemo, du repli à l’ouverture, semblent se répondre en écho, conformément à la dualité exprimée plus tôt. Tout cela fait sens et contribue à la qualité de cet album accessible aux jeunes adolescents, et tout à fait recommandable.
Mobilis, Juni Ba
Bayard Jeunesse, octobre 2024, 160 pages