Misericorde-avis

« Miséricorde » : le jeu des sept erreurs

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Figure emblématique du neuvième art, Jean van Hamme revient avec une œuvre plurielle, divisée en sept histoires prises en charge par autant d’illustrateurs. Considéré comme l’un des auteurs les plus prolifiques et populaires de sa génération, avec 45 millions d’albums vendus, le scénariste est le maître d’œuvre derrière des séries cultes telles que Largo Winch et XIII. Sa dernière fresque narrative, qui a mûri entre 1968 et 2008, illustre bien la diversité de son art.

« L’Ange de miséricorde »

Dans « L’Ange de miséricorde », nous plongeons dans l’esprit tourmenté de Karsh, auteur de romans noirs où les meurtres sont légion et plus glaçants les uns que les autres. Sexagénaire à la vie bien rangée, heureux en amour, le protagoniste de Jean van Hamme se délecte cependant à imaginer « les manières les plus cruelles de liquider ses personnages aux quatre coins du monde ». Les lecteurs sont au rendez-vous, puisque chacun de ses manuscrits est accueilli avec l’impatience réservée aux grands maîtres. L’ironie de cette histoire découle de deux éléments : ce vieil auteur lénifiant pseudonymisé derrière « un nom qui claque comme le cinglement d’un fouet sur le dos nu d’une jouvencelle sans défense » et la découverte, tardive, des remaniements improbables dont font l’objet ses écrits. Belle métaphore de la dualité créatrice, où la noirceur est adoucie par l’amour.

La chance ne sourit pas aux audacieux

« Le Vol d’Icare » et « Les Bretelles » mettent en scène des personnages cyniques. Le premier est un preneur d’otages, le second un chef d’entreprise actif dans l’allongement de la durée de vie. « Des chômeurs, des bons à rien, des femmes abandonnées, des artistes ratés, bref des inactifs pour qui le temps qui passe leur pèse plus qu’il ne leur procure de bien-être » : voilà les personnes qui se rendent disponibles pour sacrifier un peu de leur espérance de vie en échange de quelques billets. Du temps précieux que quelques privilégiés – politiciens, millionnaires, malades argentés – pourront ensuite acquérir sous forme de pilules miraculeuses. Le discours est bien rôdé : « Vous devenez un bienfaiteur de l’humanité tout en gagnant de l’argent sans effort. » Mais Jean van Hamme ne ménage pas ses personnages, somme toute peu engageants : il leur réserve un coup du sort qui a le mérite de remettre les pendules à l’heure.

« Les Dents de l’amour »

« Je possède en kilos superflus ce qui me manque en cheveux. » Il faut bien le reconnaître, on a connu présentation plus prometteuse. « Les Dents de l’amour » a pour principal protagoniste un homme loin de l’idéal esthétique masculin, peu sûr de lui, inscrit dans une agence matrimoniale par ses amis. Le point de bascule opère lorsqu’une femme sculpturale et richissime – elle se déplace en jet privé – tombe sous son charme. La jalousie soudaine de ses amis l’amuse et il n’hésite pas à tout plaquer pour elle. Mais tout ne se passera évidemment pas comme prévu. La satire sociale s’incarne ici dans un humour noir, soulignant la cruauté sous-jacente dans la quête de l’amour et de l’acceptation de soi.

Avancement social

« Le Piège » et « Adios, amigo » ont pour point commun la vanité humaine. Le premier récit s’articule autour des agissements d’une « marieuse enragée » cherchant, fût-ce par la ruse, à faire les couples – et dans le cas présent, à marier sa nièce, stupide et caractérielle, avec un riche héritier. Il s’agit d’une satire de la haute société londonienne. « Adios, amigo » nous transporte dans une intrigue policière où la mort mystérieuse d’une femme révèle les dessous d’un petit royaume mais surtout la tentation d’un journaliste, poussée à son paroxysme, de faire un scoop. Jean van Hamme n’est pas tendre avec ces personnages, réunis dans une ronde où chacun semble plus pathétique et cruel que son voisin.

Dans Miséricorde, les récits de Jean van Hamme brassent de nombreuses thématiques et creusent la profondeur psychologique des personnages (autant que le permettent ces petites bulles narratives). Cela révèle une compréhension aiguë de la nature humaine et de ses contradictions, exposées avec humour et ingéniosité. Chaque histoire est en effet un prisme à travers lequel l’auteur explore des tranches de vie, des archétypes, des affects, des désirs souvent honteux. Et c’est délicieux.

Miséricorde, Jean van Hamme
Dupuis, novembre 2023, 96 pages

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