Minuit passé, le dernier roman graphique de Gaëlle Geniller, publié aux éditions Delcourt, prend pour cadre un manoir rempli de secrets et de souvenirs perdus. En suivant Guerlain et son jeune fils Nisse, l’auteure et dessinatrice nous entraîne dans une atmosphère envoûtante, où mystère, interactions entre passé et présent ou encore tendresse paternelle se rencontrent. Ce récit interroge la construction de soi et l’influence de l’enfance sur l’identité.
Le récit s’ouvre sur le retour de Guerlain, accompagné de son fils Nisse, dans le manoir familial de son enfance, un lieu dont il ne garde que des souvenirs flous et épars. Ce choix narratif ancre immédiatement le lecteur dans une ambiance mystérieuse, où la réalité n’apparaît qu’en pointillé. Ce manoir, appelé Drosera, devient rapidement un personnage à part entière : espace imprégné de secrets et de réminiscences, il conditionne les perceptions et émotions des personnages, ainsi que les interactions qu’ils nouent entre eux. C’est le cas pour Guerlain et ses grandes sœurs, mais aussi vis-à-vis de Nisse, qui semble reproduire des schémas anciens.
Gaëlle Geniller joue habilement avec les ombres et les sons qui hantent la nuit, tandis que Guerlain, en proie à des insomnies, se perd dans les couloirs et tente de comprendre l’origine de ces étranges manifestations. Ce retour dans un lieu chargé de symbolique est un thème littéraire récurrent, que l’on retrouve dans des œuvres telles que Rebecca de Daphne du Maurier ou Shining de Stephen King, mais Minuit passé lui insuffle une profondeur poétique qui lui est propre.
Seuls dans un huis clos où toute interaction extérieure se limite à des appels téléphoniques, Guerlain et son fils évoluent dans un microcosme coupé du monde. Nisse pose un regard neuf sur un lieu qui peut paraître inquiétant, et son innocence contrebalance l’inquiétude de son père, dont les souvenirs rejaillissent peu à peu.
Les illustrations de Minuit passé sont particulièrement réussies. Gaëlle Geniller multiplie les détails et propose un style coloré qui tranche avec l’atmosphère sombre, parfois sépulcrale, du manoir. Ce contraste joue d’ailleurs un rôle important dans la construction du récit : tandis que le cadre et les ombres pèsent, les couleurs et les détails de l’ameublement, des costumes et des fleurs, voire du jaspage, révèlent une beauté intrinsèque. Les métaphores visuelles sont également convoquées, par exemple avec les corneilles.
Sur le fond, on notera que le retour de Guerlain dans ce lieu oublié de son enfance constitue avant tout une quête intérieure. Les événements surnaturels, les mystères entourant sa mémoire défaillante et les interventions de figures animales ou spectrales agissent en miroirs de ses doutes et de sa recherche d’identité. Avec Minuit passé, Gaëlle Geniller propose ainsi une œuvre d’une rare intensité, où la beauté des illustrations sublime une histoire à la fois mystérieuse et émouvante. Le roman graphique est non seulement un plaisir visuel, mais aussi une exploration tout en sensibilité des relations humaines et des souvenirs.
Minuit passé, Gaëlle Geniller
Delcourt, octobre 2024, 204 pages