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« Mauvaise réputation » : toute réalité a deux faces

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le scénariste Ozanam et le dessinateur Emmanuel Bazin publient aux éditions Glénat Mauvaise réputation, une bande dessinée axée sur l’histoire des frères Dalton et dont le narrateur n’est autre qu’Emmett.

Précédé d’une réputation sulfureuse, Emmett Dalton s’est rangé depuis plusieurs années, après les mésaventures que lui et ses frères ont vécues. Il noie désormais son spleen dans l’alcool et est assailli de visions du passé aussi douloureuses que tenaces. Nous sommes en 1908 en Oklahoma et les Dalton continuent de polariser les attentions. À tel point d’ailleurs qu’un producteur de cinéma, John Tackett, approche Emmett afin d’obtenir sa version des faits avant de porter l’histoire de la fratrie sur grand écran. Le scénario, essentiellement basé sur des coupures de presse, est un tissu de mensonges. « Tout est faux, caricatural. Si j’avais vécu un seul jour comme ce que vous racontez là, je serais mort depuis longtemps. » S’il tempère – « Vous savez, dans un scénario, la vérité doit s’effacer devant l’efficacité » –, John Tackett voit là l’occasion de convaincre Emmett : s’il veut rétablir les faits, il suffit qu’il accepte de remplacer le scénariste embauché sur le projet. Et c’est ainsi que les deux hommes vont se rapprocher l’un de l’autre et éventer peu à peu, par l’intermédiaire du narrateur Emmett, l’histoire des Dalton.

Ozanam et Emmanuel Bazin vont alors nous faire découvrir d’anciens marshals que des circonstances défavorables et plusieurs injustices ont poussé sur le chemin de la criminalité. « Je suis persuadé que si la solde était tombée tous les mois, le dilemme n’aurait même pas existé. » Car l’activité de marshal est peu profitable aux Dalton : payés à l’acte, ils ployaient sous le travail et devaient en plus payer les enterrements de bandits qu’ils abattaient dans le cadre de leur mission lorsque ces derniers n’avaient pas de famille. « On s’est rendu à l’évidence que n’importe quel boulot serait plus rémunérateur… et moins dangereux » En filigrane, c’est l’Ouest, ses règles tacites et ses règlements de comptes qui transparaissent. Avec cette devise, si juste : « Qui vit du glaive périra par le glaive. » Pour en prendre la pleine mesure, il faut se rappeler que Towerly, l’assassin d’un frère Dalton, a été tué par un marshal qui n’a même pas eu le temps de profiter de sa prime avant de se voir lui-même abattu par un Indien. Le récit, à trois bandes – les Dalton, Emmett et John, l’Ouest –, est conté de manière réaliste et mélancolique. Les couleurs désaturées d’Emmanuel Bazin, l’analogie initiale entre Emmett et le Christ et, plus largement, les événements contés dans l’album contribuent à instaurer la teneur d’un western crépusculaire.

Bagarres de bar, chevaux volés, fusillades, fausses accusations de braquages, tragédies en cascade, marshals, truands et Indiens, Mauvaise réputation ne fait certainement pas affront au genre. Il a aussi le mérite de portraiturer une époque, en recourant à des personnages secondaires – l’usurier Bundle réclamant son dû à la veuve d’un soldat – ou à des dialogues édifiants – « Le public n’est pas prêt à payer pour voir les exploits d’un négro » au sujet de l’opportunité de consacrer un biopic à Bass Reeves. D’autres aspects de l’album feront en revanche l’objet de davantage de réticences : les nombreux bonds temporels et ellipses morcèlent le récit et nous empêchent parfois de nous fixer dans l’action ou de nous identifier pleinement aux protagonistes, tandis que le travail graphique sur les visages ou les décors apparaît quelque peu lacunaire. Ce premier tome, très cinégénique, n’en demeure pas moins plaisant et engageant quant à la suite de la série.

Aperçu : Mauvaise réputation (Glénat)

Mauvaise réputation (tome I), Ozanam et Emmanuel Bazin
Glénat, juin 2021, 72 pages

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