Lodger-avis

« Lodger » : amour noir

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient le thriller graphique Lodger, de David et Maria Lapham. Autour de deux personnages crépusculaires, les auteurs déploient un récit sombre, désespéré, et sanglant.

Parfois, l’amour, c’est un peu comme investir dans un film à gros budget : tu y mets de la passion, tout ton cœur, en pure perte. Pour un moment extatique, tu te lances dans des projets fous, insensés, voire désespérés. Mais à la fin, si tu te plantes, tout ce que tu récoltes, c’est une énorme dette émotionnelle et une bande-annonce quelque peu embarrassante de tes erreurs. En juxtaposant deux voix, celle du narrateur et celle du personnage principal, David et Maria Lapham transforment Lodger, thriller graphique sépulcral, en un témoignage puissant sur les amours déçus et leurs contrecoups les plus extrêmes. À Elroy, dans l’Arizona, bled paumé au point que les records de température ne sont même pas enregistrés, Ricky et Dante se rencontrent un peu par hasard : lui, voyageur, loue l’atelier du paternel, désoeuvré depuis un accident qui l’a laissé diminué et alcoolique. Elle, à peine sortie de l’enfance, cède à la fascination que le nouveau venu exerce sur elle.

Cette histoire, le lecteur ne la découvre que par bribes, à l’aide de sauts temporels. Dans une construction narrative sophistiquée, David et Maria Lapham brouillent les pistes, font passer des vessies pour les lanternes et exploitent en clerc la duplicité de leurs personnages – dont l’art du déguisement est tout sauf anodin. Le noir et blanc est expressif, crépusculaire. Il se met au service d’une revenge story opposant deux personnages rendus au dernier degré de la folie, capables des pires cruautés. Dans Lodger, les noms se dédoublent, les faits se falsifient et les points de vue adoptés contiennent des angles morts propres à dérouter le lecteur.

« Si le monde était rempli de saints, on inventerait le Diable avant d’être tous morts d’ennui. » Cette citation extraite de Lodger illustre très bien les fondements sur lesquels s’appuient David et Maria Lapham. Ricky Toledo, 18 ans, a soif de vengeance et n’entretient de relations sincères qu’avec son flingue paré d’or, baptisé « Golddigger ». Elle arpente les États-Unis aux trousses d’un blogueur-tueur qu’elle aime aveuglément, au-delà de la raison. Ce que les auteurs organisent avec soin tout au long de leur album, c’est la rencontre, ivre de conflictualité, entre deux esprits malades et bornés, dans une Amérique où le rêve s’est tari aussi vite que les revenus d’un ouvrier blessé, où la taule et l’orphelinat constituent des lieux de transit. Car mine de rien, Lodger s’hybride d’une dimension sociale à ne pas sous-estimer. Et s’il est explicite dans la monstration de la violence, il l’est tout autant à l’endroit des dysfonctionnements conjugaux et familiaux. Un diamant aussi noir que le charbon.

Lodger, David et Maria Lapham
Delcourt, septembre 2023, 128 pages

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