Les éditions Delcourt ajoutent un nouveau titre à leur collection consacrée à Liu Cixin, auteur chinois de renommée mondiale. Dans « L’Humanité invisible », ce dernier imagine un monde éteint, une Terre exsangue, carbonisée, au sein de laquelle ont survécu des poches d’humanité portées à une échelle microscopique.
La bande dessinée « L’Humanité invisible » se fond dans les canons du genre de la science-fiction. Inscrite dans une collection qui rassemble quinze histoires courtes tirées de l’œuvre de Liu Cixin, elle bénéficie des talents conjugués de Liu Wei et Pan Zhiming. Les illustrations du dernier cité doublent une narration habile, qui donne vie à un monde futuriste aux propriétés douces-amères.
« L’Humanité invisible » révèle une vision pessimiste de l’avenir terrestre. La planète bleue est devenue exsangue, presque carbonisée, à la suite d’une catastrophe solaire. Un explorateur de l’espace, revenant d’une mission au cours de laquelle il cherchait des mondes habitables, atterrit sur une Terre éteinte, pour y découvrir une nouvelle forme d’humanité : des micro-humains vivant en autonomie dans des écosystèmes clos.
Le thème de la résilience face à l’adversité apparaît ainsi comme l’un des piliers de cette histoire. Ces micro-humains, malgré leur taille minuscule, montrent une grande force et un optimisme inaltérable. Ils vivent une existence paisible et insouciante, malgré leur isolement et l’immensité des défis qui se posent à eux. Par la voix de ces personnages, Liu Cixin rappelle au lecteur que l’humanité n’est pas une question de taille physique, mais plutôt d’esprit et de capacités à survivre et à prospérer, même dans les conditions les plus difficiles.
« L’Humanité invisible » met aussi en lumière des considérations sociales épineuses telles que le racisme et la discrimination, tout en offrant un commentaire éloquent sur l’impact de l’exploitation des ressources par les humains. L’utilisation des micro-humains en tant que minorité opprimée, rejetée par les hommes « anciens », offre une critique subtile des divisions sociales et des préjudices, tandis que leur faible impact sur l’environnement – leur taille limitant leurs besoins et leur empreinte écologique – questionne notre rapport aux biens communs et notre gestion des ressources naturelles.
Le récit offre en effet une vision dystopique mais révélatrice de l’exploitation économique de la Terre par l’homme, commentée de manière lucide par les micro-humains. Cette préoccupation écologique se fait l’écho de la pensée d’éminents théoriciens, tels que le biologiste et philosophe Garrett Hardin qui, dans La Tragédie des biens communs, met en lumière la tendance humaine à surexploiter les ressources communes jusqu’à leur épuisement. Les micro-humains, qui ont réussi à réduire leur dépendance aux ressources naturelles et à vivre dans des écosystèmes clos et autonomes, contrastent fortement avec les macro-humains qui ont appauvri la Terre.
Ce parallèle suggère une alternative possible à l’impasse actuelle décrite par Hardin. De plus, il fait écho aux travaux de penseurs comme E.F. Schumacher, qui a plaidé pour une économie à échelle humaine dans Small is Beautiful. La taille modeste et les besoins réduits des micro-humains supportent une critique de la surconsommation et un plaidoyer pour une vie plus respectueuse de l’environnement. De quoi conférer à cet album engageant des fondements plus denses et profonds.
Les Futurs de Liu Cixin : « L’Humanité invisible », Liu Wei et Pan Zhiming
Delcourt, juin 2023, 78 pages