Après le terrible attentat du 11 septembre 2001, la guerre a fait rage en Afghanistan, en raison de la présence d’Oussama ben Laden quelque part dans les montagnes. En tant qu’alliée des Etats-Unis (et membre de l’OTAN), la France y est intervenue militairement, de 2001 à 2014. La période court de la présidence de Jacques Chirac (1995-2007) à celle de François Hollande (2012-2017), en passant par celle de Nicolas Sarkozy (2007-2012).
L’objectif était la guerre contre le terrorisme. Pour établir le contact avec les chefs locaux, l’armée française a décidé de recourir à des interprètes (tarjuman) afghans pour l’accompagner dans ses actions. De jeunes afghans n’ayant pas froid aux yeux ont donc vécu ce conflit de l’intérieur, avec la conviction de faire leur possible pour ramener la paix dans le pays. Leur position était déjà particulièrement dangereuse, car nombre de leurs compatriotes les considéraient comme des traîtres. Après le départ des soldats français, leur position s’est encore fragilisée et les mesures d’intimidation, les menaces et les actes de violence morale et physique se sont multipliés à leur encontre. Beaucoup ont demandé l’asile politique à la France.
Accompagnement défaillant
Autant dire que du côté français, rien n’était en place pour faire face à cette demande. Il faut dire que ce sont plusieurs centaines d’Afghans qui ont ainsi fait des demandes auprès de l’État français. Les tarjumans se sont retrouvés face à une administration un peu débordée qui, dans bien des cas, mit un certain temps avant de répondre. On apprend qu’il n’était pas question d’accueillir ces traducteurs sur simple demande. Des critères furent établis afin de sélectionner celles et ceux (et leurs familles) qui avaient un réel besoin de protection.
L’histoire vraie de quelques-uns
Cette BD raconte l’itinéraire de trois de ces tarjumans : Abdul Razeq Adeel, Shekib Daqiq et Zainullah Oryakhail, dit Orya. Il s’agit donc d’une histoire vraie et surtout d’un plaidoyer pour ces oubliés de l’histoire récente, qui se considèrent comme laissés-pour-compte par la France.
Pourquoi en faire une BD ?
Je suis assez partagé par cette BD qui me paraissait importante au moment où je l’ai découverte en librairie. Et effectivement, elle l’est, du simple fait de son titre et de ce qu’il sous-entend. Cette BD fait partie des éléments dignes d’être diffusés, afin que des faits regrettables soient connus et disséqués en raison de leur gravité. Par contre, après lecture (120 pages avec la postface), je reste perplexe, car la BD elle-même ne m’a pas marqué, en tout cas très peu par rapport au contenu du discours d’ensemble. À vrai dire, ma conclusion serait que le passage de divers témoignages (dont 3 constituent le corps du récit), du simple témoignage oral, écrit et photographique à cette BD manque d’impact. Le choix du noir et blanc n’est pas en cause. À mon avis, les concepteurs ont fait leur job, mais sans réelle inspiration. Sauf sur quelques illustrations pleine planche (à l’image de celle qui fait la couverture), le dessin (dû à Pierre Thyss), globalement, me déçoit, en particulier pour la représentation des personnages (assez impersonnelle selon mon ressenti) et tout ce qui fait les décors (beaucoup trop d’arrondis, alors que la tension aurait pu être marquée au contraire par toutes sortes d’angles aigus et autres cassures). Soit le trait manque tout simplement de caractère, soit c’est voulu pour attirer un lectorat suffisamment nombreux. La deuxième hypothèse me paraît assez plausible, car le but de cette histoire vraie est quand même d’attirer l’attention publique sur cette défaillance de l’État français et tout ce qu’elle a pu entrainer. La BD souligne l’intervention d’une avocate française nommée Caroline Decroix qui signe la préface (texte clair qui permet de bien situer les enjeux).
Les combats menés
La BD présente quelques situations de combat, mais bien trop peu pour faire comprendre la complexité des enjeux qui motivent le conflit (avec ses différentes factions, sans doute assez mouvantes). Elle se concentre davantage sur ce que vivent les traducteurs du titre. Leur véritable combat commence évidemment avec le retrait des troupes françaises. Leur parcours se situe entre procédures administratives marquées par la lenteur et souvent l’incompréhension, ainsi que par ce qu’ils vivent dans leur pays et leurs tentatives pour le fuir par tous les moyens.
Précieux témoignage
Situé en fin d’album, le dossier complémentaire élaboré par les scénaristes (Brice Andlauer et Quentin Müller) constitue un complément de témoignage particulièrement intéressant, car révélateur. Il conforte mon opinion selon laquelle l’impact de cette histoire passe avant tout par les témoignages recueillis qui sont émouvants, alors que la BD elle-même ne restera pas dans les annales. Son mérite consiste cependant à mettre en lumière un aspect très méconnu des opérations militaires menées en Afghanistan après l’attentat du 11 septembre 2001.
Les traducteurs afghans, Andlauer – Müller – Thyss
La boîte à bulles, février 2020, 112 pages