Dans un monde inondé d’actualités, d’événements politiques et de crises environnementales, où chaque catastrophe semble en éclipser une autre, le premier tome des Exilés de Mosseheim forme un tout presque complet, gangréné par le racisme, la corruption et l’incurie. Écrit par Sylvain Runberg et Olivier Truc, illustré avec talent par Julien Carette, l’album nous immerge dans un camp de réfugiés suédois, où les déplacés européens d’un accident nucléaire ayant eu lieu en France vivotent dans la promiscuité, l’absence de perspectives et le rejet de l’autre.
La centrale nucléaire de Mosseheim, sise en Alsace, a fait l’objet d’un terrible attentat, perpétré par un groupe terroriste dont on ne sait rien, ou presque. Des millions de réfugiés fuient une mort radioactive et trouvent refuge dans des camps de fortune, notamment en Suède, qui accueille le plus grand d’entre eux, abritant plus de 300 000 personnes.
Partant, le récit s’articule autour d’une famille française, victime collatérale de l’attentat, et passablement divisée : tandis que père et mère ne s’adressent plus la parole que pour formuler des reproches (l’homme, Christophe, vient d’apprendre que sa femme le trompait), les enfants se montrent irrités et meurtris par la situation qu’ils vivent. La perte de leur confort habituel, l’obligation de partager un baraquement avec des inconnus, l’horizon tout sauf dégagé : tout tend à mettre leurs émotions à incandescence.
Les auteurs enfoncent le clou en imaginant une initiative privée validée par l’Union européenne et conduisant à l’exploitation de ces réfugiés nucléaires. Avec Start-up City, les ONG locales sont tenues de dispenser des cours de suédois aux réfugiés et les entreprises peuvent s’offrir cette main-d’œuvre bon marché tout en échappant aux règles du travail nationales.
Une exploration multidimensionnelle
L’album ne se contente pas d’être un récit familial. Il s’engage dans une critique sociopolitique, en explorant les dynamiques complexes des camps de réfugiés, la stratification ethnique délibérée pour minimiser les tensions, et donc l’exploitation économique des réfugiés par les entreprises privées.
L’intrigue se nourrit également d’une affaire de meurtre, et de la présence de personnages mystérieux à la recherche d’un réfugié français, Verdier, apparemment détenteur d’informations compromettantes démentant la version officielle des faits, concoctée avec l’accord de l’Elysée (pour dissimuler des manquements aux règles de précaution et de sécurité au sein du site nucléaire).
Les éléments d’enquête criminelle, de théories du complot et d’extrémisme politique sont autant de fils qui tissent une toile de plus en plus serrée autour des personnages. C’est dans ce contexte que l’animosité entre les communautés françaises et allemandes explose, les premiers se voyant accusés par les seconds d’être responsables de la catastrophe. Quand des groupes entiers ayant tout perdu se reconstituent selon les seuls critères national, linguistique et culturel, cela engendre un esprit de corps qui peut vite se muer en haine de l’autre. Les auteurs en font parfaitement la démonstration.
En attendant la suite
Les Exilés de Mosseheim confronte le lecteur à des réalités souvent ignorées ou minimisées dans les crises humanitaires et environnementales modernes, en adoptant le point de vue d’Européens occidentaux. Cela constitue peut-être son principal attrait. Bien ficelé, très généreux dans les thématiques soulevées, l’album possède les défauts (pardonnables) de ses qualités (bien réelles) : il brasse plus qu’il ne creuse, y compris sur le plan psychologique (en dehors peut-être de la relation entre Christophe et sa femme). Ainsi, il tend à multiplier les portraits humains peu engageants sans réellement les motiver sur le plan de la caractérisation des personnages. Le Président et ses conseillers mentent parce qu’il le faut bien, les franges d’extrême droite ne rencontrent qu’une timide opposition dans les zones allemandes et les agents sous couverture restent des feuilles blanches sur lesquelles tout pourrait être projeté. On espère que la suite déjouera ces quelques réserves, car le diptyque est prometteur.
Les Exilés de Mosseheim, Tome 1 – « Réfugiés Nucléaires », Sylvain Runberg, Olivier Truc et Julien Carette
Dupuis, août 2023, 88 pages