Dans Les Crieurs du crime, Sylvain Venayre et Hugues Micol problématisent la question du fait divers au début du XXe siècle en France, à travers l’affaire tragique et sordide de Soleilland. Le roman graphique offre en sus une réflexion sur la manière dont les médias de l’époque ont amplifié le sentiment d’insécurité et influencé le débat public, notamment sur l’abolition de la peine de mort…
Dans le Paris de la Belle Époque, la presse, en pleine effervescence, joue un rôle fondamental dans la diffusion de l’information et, bien souvent, dans sa manipulation. À travers l’affaire Soleilland, ici romancée, Les Crieurs du crime montre comment les grands journaux exploitaient des crimes atroces pour vendre toujours plus de papier. Les rotatives, récemment exploitées, tournaient alors à plein régime et la concurrence entre les différents titres, féroce, encourageait le sensationnalisme.
Dans l’album, le directeur d’un journal, Lachaise, désire rattraper son retard sur ses concurrents. Pour ce faire, il retarde le voyage de noces d’un reporter, Valentin. La guerre des journaux qui sévit alors dans la capitale est à son comble. L’enquête sur la disparition d’une fillette et la découverte macabre de son cadavre à la gare deviennent le terreau d’une presse avide de sensationnel, où chaque détail sordide révélé ou fantasmé est une opportunité pour vendre davantage de journaux. Dans cette ambiance de surenchère, le public parisien, tout comme les journalistes eux-mêmes, semble fasciné par le morbide.
Venayre et Micol mettent parfaitement en lumière la manière dont le langage est utilisé par les médias de l’époque pour manipuler l’opinion publique. Les voyous sont qualifiés d’apaches, un terme qui déshumanise et diabolise, tandis que les prostituées sont décrites comme des victimes d’une « traite des blanches », une expression qui cherche à susciter l’indignation et la peur. Ce choix lexical n’est pas innocent : il vise à créer des ennemis intérieurs et à justifier des mesures répressives. La frange la plus conservatrice de la société réclame alors l’application stricte du Code pénal et le maintien de la peine de mort, voyant en ces mesures une réponse à la montée de l’insécurité perçue. Dans ce contexte, la presse se fait l’instrument de la peine capitale…
Les Crieurs du crime s’attarde également sur la représentation de la femme dans la presse populaire de l’époque. L’idée que les femmes, avec leur supposée curiosité naturelle et leurs capacités de dissimulation, pourraient être utiles à la police est colportée par des commentateurs peu nuancés. Cette image ambiguë et stéréotypée traduit le fait que la place des femmes dans l’espace public est en pleine redéfinition – mais mue par les lieux communs. Valentin, de son côté, rêve d’écrire un grand roman policier et prend conscience, peu à peu, des vilenies de la presse populaire.
Avec Les Crieurs du crime, Sylvain Venayre et Hugues Micol nous offrent une œuvre riche et complexe qui interroge non seulement la fonction du fait divers dans la société mais aussi le rôle de la presse comme actrice politique et sociale. À travers un récit qui mêle enquête, critique sociale et réflexion historique, ce roman graphique nous rappelle que les questions soulevées par l’affaire Soleilland – telles que l’influence des médias sur la justice et la politique, ou encore la manipulation de l’opinion publique – résonnent encore dans notre monde contemporain…
Les Crieurs du crime, Sylvain Venayre et Hugues Micol
Delcourt, septembre 2024, 144 pages