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« Le Storyboard de Wim Wenders » : faim d’images

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le Storyboard de Wim Wenders, de Stéphane Lemardelé, paraît aux éditions La Boîte à bulles. Témoignage sur le langage visuel d’un film doublé d’un examen scrupuleux des principes cinématographiques de Wim Wenders, l’album prend le parti, en se basant sur une histoire réelle, de mettre l’art à l’honneur.

Engagé en tant que storyboarder sur le film Every Thing Will Be Fine de Wim Wenders, Stéphane Lemardelé est doublement fasciné : non seulement on lui donne la chance de côtoyer l’un des grands maîtres du septième art, mais ce dernier s’épanche en plus sur le langage visuel qu’il cherche à déployer, au point que l’auteur et illustrateur français y trouvera, quelques années plus tard, de quoi alimenter un roman graphique au long cours.

Sans surprise, Le Storyboard de Wim Wenders souligne l’importance de la mise en dessins d’un film. Utile pour défricher le terrain en déterminant les valeurs de plan, les postures des personnages ou les éléments de décor, le storyboard est au réalisateur ce qu’est la partition au pianiste. Stéphane Lemardelé ne se fait d’ailleurs pas prier pour glisser dans son roman graphique plusieurs séquences d’Every Thing Will Be Fine préparées et dessinées par ses soins.

Les admirateurs de Wim Wenders pourront découvrir un artiste tatillon, capable de discourir sur un faisceau de lumière ou de concevoir le paysage comme un personnage supplémentaire, influencé par Edward Hopper, Andrew Wyeth, Vermeer ou Yasujirō Ozu, et dont la passion pour le septième art a vu le jour à la Cinémathèque, où il passait ses journées à visionner des films et à prendre des notes – dans un premier temps, pour trouver un endroit chauffé à peu de frais, c’est-à-dire un franc la séance.

Tous les autres, initiés ou non, porteront une attention particulière aux rapports étroits qu’entretiennent le cinéma et la peinture, verbalisés plusieurs fois dans cette bande dessinée. Ils apprendront que le chef-d’œuvre Paris, Texas fut à moitié improvisé – chose courante chez Wenders, comme chez Godard – et que le cinéaste allemand perçoit le cinéma européen comme étant plus libre que son pendant hollywoodien, accusé d’appliquer des formules le rendant quelque peu conventionnel.

Si l’album dévoile les coulisses d’un tournage cinématographique, il est irrigué par les principes et réflexions de Wim Wenders. « La télévision nous a fait perdre le goût d’une vision large et d’un rythme tranquille (…) La télévision, c’est le poison des yeux », annonce-t-il par exemple, avant d’ajouter qu’« avec la prolifération des images, il n’y a plus de volonté formelle ». Stéphane Lemardelé intègre en effet dans son roman graphique les questionnements pluriels de Wenders envers l’image. Quelque peu désabusé, le metteur en scène voit la publicité la contaminer au point que, privée de sens artistique, elle tend pourtant à phagocyter la vie des gens.

Le Storyboard de Wim Wenders peut être abordé sous plusieurs angles : les principes cinématographiques d’un réalisateur salué par la critique, les dessous d’un tournage, les pérégrinations autobiographiques d’un storyboarder, la manière dont les disciplines artistiques se répondent et se fondent les unes dans les autres (Edward Hopper a influencé le cinéma et le film noir autant que l’inverse), etc. Tous ces points apportent satisfaction et contribuent à conférer à cet album densité et passion.

Le Storyboard de Wim Wenders, Stéphane Lemardelé
La Boîte à bulles, mai 2022, 160 pages

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