Les éditions Glénat publient le second tome de Molière, intitulé « Le Scandale Tartuffe ». Vincent Delmas et Sergio Gerasi, respectivement scénariste et dessinateur, y racontent les déboires de la figure tutélaire de la Comédie-Française, désargenté, en proie aux menaces du clergé et plus ou moins abandonné par sa troupe et le Roi.
À l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière, Vincent Delmas et Sergio Gerasi ont entrepris de livrer un triptyque sur celui qui demeure sans conteste l’un des auteurs les plus éminents de l’histoire de France. « Le Scandale Tartuffe », second tome, introduit un personnage à la plume affûtée, audacieux, maniant en clerc la satire à double fond. Ils lui opposent une Église bien ordonnée, composée d’un cardinal réservé, un archevêque combattif et des croyants criant au blasphème, dont certains rêveraient de voir le dramaturge placé sur le bûcher. Le Roi a beau rire aux traits satiriques de Molière, il n’a d’autre choix que de composer avec un clergé encore tout-puissant. Il finit par interdire la pièce, laissant l’auteur dans une situation économique délicate : ses représentations se font plus rares, et le jeune Racine s’apprête en outre à lui tourner le dos et rejoindre la concurrence.
Rien, décidément, ne sourit alors à Jean-Baptiste Poquelin (son nom au civil). Il perd un enfant, Louis, voit sa femme se détourner de sa personne et remettre en question ses choix, subit les critiques de sa troupe. Désargenté, menacé par le pouvoir et le clergé, il s’obstine à jouer une pièce pourtant frappée d’interdiction, à laquelle il apporte certes des changements mineurs, mais insuffisants pour qu’elle ne soit pas interrompue sur ordre du gouvernement. Dans un album à la narration bien maîtrisée, Vincent Delmas et Sergio Gerasi ne sacrifient rien du contexte de l’époque et dressent le portrait d’un auteur cherchant à éveiller les consciences, à user de sa liberté d’expression, quitte à froisser les détenteurs d’un pouvoir, exécutif ou spirituel, qui ne devrait selon lui aucunement empiéter sur ses prérogatives littéraires.
Au-delà de son intérêt historique et du souffle romanesque qui l’anime, « Le Scandale Tartuffe » possède évidemment des résonances très actuelles, s’étendant des caricatures de Charlie Hebdo à des films tels que Baise-moi ou La Passion du Christ. Molière y apparaît comme un artiste entier, sans concession, absolument obsédé par son art et la manière de l’exposer au public sans subir la censure. Une séquence en témoigne mieux que n’importe quel discours : on aperçoit, à différentes occasions qui se succèdent vignette après vignette, l’auteur perdu dans ses songes, tandis que les événements du quotidien se déroulent sous ses yeux. Il y a aussi ce vœu d’Armande, son épouse : elle exprime le désir que son attachement à la liberté (d’écrire, de se produire, de dénoncer) soit indexé à celui de rester en vie.
Cette dernière subira dans son intimité la plus profonde les conservatismes qui frappent alors la société européenne – et qui affligent Molière et son œuvre. Une révélation tardive va en effet corroborer tout ce qui avait déjà pu être observé à l’endroit de Tartuffe et sa réception par les ecclésiastiques et les fidèles les plus dogmatiques. L’épisode n’a rien d’anecdotique, puisqu’en plus d’éclairer son temps et les us de la bourgeoisie, il témoigne de la faculté, discrète, qu’ont Vincent Delmas et Sergio Gerasi de conférer de l’ampleur à leur propos. Et les dessins raffinés, généreux en détails, ne gâchent évidemment rien au plaisir de lecture.
Molière : Le Scandale Tartuffe, Vincent Delmas et Sergio Gerasi
Glénat, septembre 2022, 48 pages