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« Le Mécanisme » : obsessions et paradoxes

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Paru aux éditions Marabulles, Le Mécanisme se caractérise par sa complexité narrative et stylistique. Le roman graphique de Gabi Beltran et Angel Trigo invite à une double exploration, biographique et existentielle. C’est en entremêlant les thématiques de l’obsession littéraire et de la quête de soi que les auteurs façonnent un labyrinthe où la réalité et la fiction semblent se confondre, dans une démonstration presque lynchéenne. 

Le Mécanisme débute comme une enquête littéraire classique, où Jonathan Bennett, essayiste, cherche à démystifier l’auteur Marcus Carlton, qui s’est suicidé en laissant derrière lui une foule de lecteurs désireux de vivre selon ses préceptes. Cela pourrait constituer le début d’un polar de l’âge d’or hollywoodien, mais c’est finalement vers les mystères insondables de David Lynch que Gabi Beltran et Angel Trigo nous emmènent. Car ce qui commence comme une enquête sur un auteur se transforme rapidement en une quête ambiguë, à la fois sur l’écrivain et sur son biographe-analyste, conditionnée qui plus est à un personnage haut en couleur : Don Carter.

L’interaction de Jonathan Bennett avec ce dernier est en effet déterminante dans le récit, puisqu’elle en phagocyte les deux tiers. Don Carter, porteur de ses propres démons, vit selon son interprétation personnelle du livre de Carlton Le Mécanisme. Il exerce une puissante fascination sur son hôte, qui, bien que conscient de sa folie relative, ne parvient pas à passer à autre chose et lui accorde de plus en plus d’attention. Leur relation est à la fois étrange et significative ; elle repose sur une dualité fascination-répulsion dans laquelle Bennett livre beaucoup plus de lui-même qu’il n’y paraît. Une sensation d’inconfort face à l’ordinaire se fait ressentir et ne lâchera plus le lecteur jusqu’au bout de la lecture, elle-même laissée en suspens.

Le voyage de Jonathan Bennett n’est pas seulement une recherche formelle, documentaire, extérieure, mais aussi un long et périlleux périple intérieur, qui remet en question ses certitudes et même son couple. Sa prise de conscience sur l’importance de Priya, son propre cheminement personnel, participent d’une forme de maïeutique qui passe, en quelque sorte, par l’écriture. Le Mécanisme semble opposer à chaque instant la réalité et son idéal, le parti pris et le doute, la raison et la déraison. Il est difficile d’en démêler tous les nœuds et c’est finalement l’atmosphère qui l’emporte sur le propos.

Le Mécanisme s’appuie beaucoup sur l’obsession et les mises en miroir. À travers un récit complexe et un style graphique sobre, Angel Trigo et Gabi Beltran invitent à une réflexion sur la nature humaine, les comportements grégaires ou encore la vie de couple. L’histoire de Jonathan Bennett, enchevêtrée dans les mystères de Carlton et adossée aux fantaisies de Carter, suggère que la véritable énigme ne se trouve peut-être pas dans les pages d’un livre, mais dans les abysses de l’esprit humain. 

Le Mécanisme, Angel Trigo et Gabi Beltran
Marabulles, janvier 2024, 128 pages

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