La collection « 1000 feuilles » des éditions Glénat accueille le roman graphique Le Matin de Sarajevo, de Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard. Les auteurs y reviennent sur les événements tragiques, et hasardeux, ayant présidé à la Première guerre mondiale, un conflit qui a coûté la vie à quelque vingt millions de personnes.
En ce mois de juin 1914, ce n’est qu’à la suite d’un incroyable concours de circonstances que l’archiduc François-Ferdinand est l’héritier officiel de l’Empire austro-hongrois. La disparition des uns et des autres, dont le suicide par balle de son cousin Rodolphe d’Autriche, l’a placé en position de prendre le pouvoir, dans le sillage direct d’un oncle qui le méprise et voit d’un mauvais œil sa relation controversée avec Sophie, une femme dont le principal tort est d’être mal née. Le nationaliste serbe Gavrilo Princip fera la une des journaux européens à la faveur d’une succession d’événements tout aussi hasardeux. Alors que lui et ses acolytes ont fomenté un attentat contre la monarchie des Habsbourg, visant plus particulièrement François-Ferdinand, il pense l’entreprise vouée à l’échec lorsque le véhicule transportant le couple impérial s’immobilise à quelques mètres de lui, après avoir revu son itinéraire au dernier moment. Il s’empare alors de son arme et tire plusieurs coups de feu, abattant l’hériter du trône et son épouse. Il n’aurait jamais dû se trouver en position d’appuyer sur la gâchette. Non seulement ses partenaires nationalistes devaient mettre fin à la parade impériale bien plus tôt, mais en plus le trajet initialement planifié par les forces de sécurité ne prévoyait pas d’emprunter ces routes…
Le scénariste Jean-Charles Chapuzet et le dessinateur Christophe Girard usent volontiers de bonds temporels pour livrer les tenants et aboutissants de l’attentat de Sarajevo. Dans une Europe en mutation, où chaque empire cherche à augmenter son territoire en annexant ses voisins, les Balkans, divisés et morcelés, constituent un terrain de jeu aiguisant tous les appétits – russes, ottomans, austro-hongrois, allemands… Les auteurs restituent parfaitement les événements ayant présidé à la Première guerre mondiale : c’est une équipe mal préparée, dont l’amateurisme transparaît clairement quand on considère sa propension à éventer ses projets, qui va pousser l’empire austro-hongrois à venger la mort d’un héritier dont il ne voulait pourtant pas. En ce sens, Le Matin de Sarajevo constitue une démonstration par l’absurde : environ vingt millions de morts découleront d’un attentat pathétique et inespéré sur la personne d’un homme méprisé par l’Empereur et doublé d’un héritier qui n’aurait jamais dû l’être. En filigrane, il est aussi question de l’organisation clandestine armée La Main Noire, de la Bosnie multiconfessionnelle, de la maison Habsbourg… Autant d’éléments entrecoupés par des séquences de prétoire, en noir et blanc, où les assaillants reviennent sur leurs motivations et la préparation de l’attentat. Au bout du compte, une impression demeure tenace à la fin de cette lecture : celle d’un monde qui ne tient qu’à un fil, fragile, tellement fragile que quelques faits imprévus pourraient le faire basculer dans l’horreur la plus absolue.
Le Matin de Sarajevo, Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard
Glénat, septembre 2022, 128 pages