Le scénariste et dessinateur Wouzit publie Le Grand Rouge aux éditions Dupuis. Il y explore les méandres de la nature et de la moralité humaines, à travers les tribulations d’Ivan, antihéros et expert en duplicité.
La trame narrative du Grand Rouge est conduite sous forme de récit alterné. D’un côté, on suit les déambulations périlleuses de deux voyous, Ivan et William. Coupables d’escroqueries aux souscriptions, ils se voient pourchassés par les sbires du gouverneur, après avoir piégé le mauvais bougre, l’obstiné et rancunier Seigneur Flandrin. Les deux hommes finissent devant un tribunal : pendant que son acolyte est promis aux travaux forcés, Ivan est condamné à mort par pendaison (il a assassiné un Sergent).
En alternance avec ce premier récit, on découvre les péripéties exotiques du même Ivan, échoué sur une île mystérieuse peuplée de créatures hostiles. Il va y rencontrer le Grand Rouge, une entité plus amicale qu’il n’y paraît, auprès de laquelle il va passer plusieurs semaines, apprendre et concevoir une embarcation lui permettant de rebrousser chemin. L’œuvre brille ainsi par son dualisme : le roman graphique de Wouzit jongle entre les péripéties d’Ivan sur l’île et la rétrospective de ce qui a amené cet anti-héros sur ces mêmes lieux.
Humour et tragédie
Wouzit injecte volontiers de l’humour dans son roman graphique. Tantôt c’est un alcoolique qui souille les chaussures d’un policier, tantôt c’est un pot de chambre qui est employé comme une arme. Les facéties d’Ivan et William, petits escrocs à la langue bien pendue et à l’audace éprouvée, contribuent à cette tonalité plus légère, contrebalancée par la révélation que contient l’autre versant du récit.
Car vous l’aurez compris, Ivan va échapper à la peine capitale. En passant un pacte avec un pirate surnommé « Bloody Hands », il recouvre sa liberté, fuit sur les mers, puis accepte la mission qui lui incombe : séjourner sur une île et sympathiser avec un « Grand Rouge » attisant les convoitises des hommes.
La vie d’Ivan est un mélange de décisions douteuses et de moralité flexible. Son passé – la mort de sa mère en couches, un père courageux et dévoué mais pauvre – l’a conduit à choisir une voie impossible, un chemin de traverse : la richesse sans labeur. L’alliance qu’il forge avec William repose sur un attrait commun pour les activités illégales. Mais cette fois-ci, ce qu’on lui demande se heurte à ses principes, et il semble finalement se condamner lui-même en s’astreignant à un régime pénitentiaire sur le bateau qui le ramène à la liberté.
Le désir infini
Ivan a 27 jours pour construire son embarcation et quitter l’île. Malgré la suspicion qu’inspirent les hommes aux Grands Rouges, il parvient à fasciner son hôte, et ils échangent leurs récits, s’ouvrant l’un à l’autre. Ce voile de normalité va cependant voler en éclats, et Wouzit nous rappelle à cette occasion le désir infini et insatiable de l’homme, qui sous-tend, trop souvent, l’infamie et la destruction.
Le Grand Rouge se penche ainsi sur la condition humaine, dans une valse narrative à deux temps, où les protagonistes optent systématiquement pour les solutions de facilité – qui se retournent contre eux et/ou les plongent dans le désarroi. C’est une œuvre qui, derrière son apparente simplicité, interroge la nature des hommes et leur capacité à cohabiter avec les autres espèces sans se comporter en parasites ou en prédateurs. Et c’est plutôt bien ficelé.
Le Grand Rouge, Wouzit
Dupuis, août 2023, 160 pages