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« Le Ferry » : une vie bien rockée

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient Le Ferry dans leur collection « Mirages ». Xavier Bétaucourt et Thierry Bouüaert y mettent en scène un bassiste ambitionnant de percer dans le rock, quitte à tourner le dos à son ancienne vie pour tenter sa chance dans l’Angleterre des Clash et des Sex Pistols.

C’est un rêve largement partagé. Devenir une rock-star, se produire devant des foules en liesse, voir reprises en chœur les paroles de ses morceaux les plus célèbres. Cependant, cet objectif se heurte souvent aux prescriptions sociales traditionnelles telles que la poursuite d’une formation scolaire, la constitution d’une famille mononucléaire classique ou l’obtention d’un emploi stable. C’est pourquoi les artistes désirant embrasser une carrière musicale se retrouvent souvent confrontés à des choix cornéliens. C’est le cas de Max, le héros de Xavier Bétaucourt et Thierry Bouüaert : le jeune bassiste décide au milieu des années 1980 de poursuivre ses rêves et de rejoindre une Angleterre caractérisée par une scène musicale d’une vitalité inédite. Mais pour ce faire, il doit laisser derrière lui ses amis et surtout sa compagne Rose, enceinte sans toutefois qu’il le sache.

Doté de codes chromatiques affirmés, avec des planches dominées par trois ou quatre teintes changeantes, Le Ferry narre le départ de Max et les événements qui l’ont précédé. On découvre sans surprise l’ivresse née de la passion artistique. Mais les auteurs y mêlent, avec beaucoup de sensibilité, tout ce qui fait l’étoffe de la vie ordinaire : l’amitié, l’amour, la famille et leurs promesses parfois déçues. Le jeune bassiste est en rupture avec une certaine vision de la société : il ne peut s’imaginer se lever tous les matins pour exercer des fonctions, jugées peu attrayantes, de magasinier. Constatant que ses partenaires sont enlisés dans un quotidien qui annihile tout espoir de se consacrer pleinement à la musique, il prend le parti de quitter la France, même si cela fragilise sa relation amoureuse avec Rose, à qui il promet toutefois des retrouvailles prochaines.

Partant, Le Ferry va multiplier les sauts entre le présent – dans une maternité où Rose vient de mettre au monde leur bébé – et des séquences passées, destinées à caractériser plus avant Max et à expliciter les raisons ayant présidé à son départ. Xavier Bétaucourt et Thierry Bouüaert portraiturent une galerie de personnages attachants, amoureux de rock (mais pas d’Indochine), et dont les rapports se lestent parfois de tensions. Karine désapprouve ainsi avec force le choix de Max, qu’elle assimile à un abandon. De même, on comprend à la lecture de l’album que ses rapports avec Gérard sont loin d’être au beau fixe : leur couple ne semble tenir qu’à un fil appelé bébé.

Doué d’un récit parfaitement maîtrisé, musicalement très référencé, ce one-shot à forte personnalité constitue une belle surprise et apparaît finalement bien plus dense qu’attendu.

Le Ferry, Xavier Bétaucourt et Thierry Bouüaert
Delcourt, février 2023, 112 pages

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