Dans Le Dernier Vol (Steinkis), Lorenzo Coltellacci et Davide Aurilia partent d’un fait divers tragique pour explorer, avec sensibilité, les trajectoires intimes de plusieurs passagers liés par un accident fatidique…
L’histoire prend racine dans les préparatifs, tout à fait ordinaires, de chaque personnage, avant un départ de Barcelone pour Düsseldorf. Certains se montrent craintifs, d’autres excités à l’idée de rejoindre l’Allemagne. Ce que Lorenzo Coltellacci et Davide Aurilia mettent en scène, ce sont des individus aux prises avec leurs espoirs, leurs doutes et leurs dilemmes. Chacun appréhende ce qui constituera un dernier vol selon les circonstances et l’humeur du départ, des éléments à taille humaine que la tragédie qui s’ensuit, dans sa narration médiatique, tendra à négliger.
La structure narrative du Dernier Vol est relativement simple : les personnages et leurs tranches de vie se succèdent les uns aux autres, avec pour seul liant l’avion qu’ils s’apprêtent à prendre dans quelques heures. L’amour, le regret, les liens familiaux et la douleur trouvent un écho dans ces récits courts et autonomes. Bien qu’il soit le véritable vecteur de la catastrophe, le pilote demeure dans un angle mort. Plutôt que d’exposer ses motivations, les auteurs préfèrent montrer les cheminements qu’elles interrompent, les individus qu’elles privent de vie.
Au-delà de la reconstitution des événements précédant le drame, l’œuvre invite à une réflexion sur la valeur de l’existence et sur l’imprévisibilité du destin. La question lancinante de ce que l’on éprouverait dans les ultimes moments de vie ajoute une dimension philosophique à la narration, tout en maintenant une empathie profonde pour les protagonistes. Juana a été victime de violence conjugale, Roberto doit composer avec l’adultère dont il s’est rendu coupable, Mark a un passif difficile avec son père et Leya attend impatiemment de retrouver l’homme qu’elle aime…
Le Dernier Vol se caractérise ainsi surtout par ce qu’il n’est pas : une reconstitution graphique d’un accident aérien devenu célèbre. C’est une célébration de la vie dans sa diversité, ses complexités, sa fragilité, à travers des personnages aux affects profondément humains. Lorenzo Coltellacci et Davide Aurilia font œuvre de sensibilité et de finesse dans les portraits qu’ils brossent. Amarrées aux relations amoureuses et familiales, leurs histoires portent, bien au-delà des situations décrites. Car la tragédie invite à tout reconsidérer à son aune.
Le Dernier vol, Lorenzo Coltellacci et Davide Aurilia
Steinkis, mars 2024, 144 pages