Dans un monde où les genres trébuchent et se rééquilibrent sur les cailloux des revendications sociales, Jim délivre, avec Le Chant du Cygne, une partition ironique mais lucide de 56 pages. Un regard masculin (mais pas trop) s’infiltre dans les interstices du féminisme, avec une autodérision assumée et des sketches graphiques qui, par itération, ne manquent pas de frapper là où ça compte.
Peut-on, en peignant la chambre de sa fille en bleu, rose ou vert, en faire une masculiniste, une princesse ou une écolo ? Doit-on jalouser les primates au prétexte que le train de l’évolution les a préservés des changements sociaux qui ont redéfini la place des hommes dans le monde ? Dans Le Chant du Cygne (que Jim a eu beaucoup de mal à faire publier), la satire est peu subtile, mais bien ciselée. Elle dépeint la charge mentale, compagne indésirable des femmes, qu’elles tentent de chasser à grands renforts de yoga, ou les congés menstruels réclamés par certaines féministes, et battus en brèche par leurs aînées.
Le mari dans tout cela ? À peine rentré du boulot, il y va de ses petits commentaires sur les courbes de sa femme, quand il ne tourne pas en dérision l’égalité salariale en entreprise ou ne se demande pas si tout compliment adressé à une femme ne ressemble pas, quelque part, à une insulte patriarcale. Mais Le Chant du Cygne, c’est aussi ces situations paradoxales où un mâle cherche à chapeauter un groupe de féministes, où un homme progressiste finit par se dégoûter lui-même en raison des féminicides, comme s’il était responsable des actes de ses homologues.
Derrière l’absurde et le sarcasme, il y a bien entendu du vrai dans les planches de Jim. C’est cette victime d’agression sexuelle que l’on interroge sur sa manière de s’habiller. Ce sont les jouets genrés ou les blagues déplacées d’un quidam (ici, un moniteur d’auto-école). Si le comique reste l’ingrédient principal de cet album, Jim saisit en clerc l’air du temps et s’inscrit en plein dans les lignes de tension qui traversent notre société. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur cet homme, sincère, qui se morfond parce qu’un compliment innocent adressé à une collègue pourrait être mal interprété, et imaginant déjà ses enfants jetés en pâture dans les médias. Ce sont aussi ces hommes vexatoires sans s’en rendre compte, porteurs d’un « logiciel » quelque peu dépassé.
Le Chant du Cygne est une esquisse humoristique, une galerie de scènes du quotidien où le féminisme et la masculinité se télescopent, s’interrogent et se moquent. Entre ironie et lucidité, Jim dresse un tableau où chacun pourrait se reconnaître, rire de soi et, pourquoi pas, réfléchir. Le ton est léger et invite à l’auto-dérision. Sans prétention, si ce n’est celle de divertir intelligemment, l’album révèle les notes discordantes de nos sociétés, avec assez de piquant pour ne pas s’ennuyer une seule seconde.
Le Chant du cygne, Jim
Anspach, octobre 2023, 56 pages