Teresa Radice et Stefano Turconi publient La Terre, le ciel, les corbeaux aux éditions Glénat. On y suit le parcours d’Attilio Limonta, un prisonnier de guerre italien évadé d’une base militaire soviétique en compagnie d’un soldat nazi et d’un geôlier russe.
Que se passerait-il si trois individus incapables de communiquer entre eux, et aux rapports régis par les ententes militaires internationales, devaient faire face, ensemble, à l’adversité ? « Ils n’ont aucune envie de se comprendre », mais ils demeurent pourtant contraints de compter les uns sur les autres pour leur propre salut, sous peine de retourner creuser des fosses ou construire des baraquements sur les îles Solovetskij. Forcément, on se scrute, on se jauge, on essaie de lire les arrière-pensées de l’un, d’effeuiller les gestes de l’autre. Attilio, Fuchs et Vanja, respectivement italien, allemand et soviétique, ont chacun leur personnalité, leurs ressentis, leurs aspirations. La Terre, le ciel, les corbeaux va s’attarder sur chacun d’entre eux et s’appuyer sur leurs rapports erratiques, en cours de maturation, pour conter un versant trop souvent inexploré des conflits militaires : l’humain, dans son étiage.
Teresa Radice et Stefano Turconi confèrent à leur album ce qu’il faut de justesse et de poésie. Les aquarelles renforcent la nature sensible, au plus près des personnages, de leur entreprise. Si les théâtres de guerre ne sont pas absents de La Terre, le ciel, les corbeaux, c’est surtout la dynamique de groupe en construction qui va prévaloir. C’est ensemble que les trois évadés vont fuir, affronter les températures glaciales, être hébergés… Et Attilio Limonta, dont on adopte le point de vue, de se demander : « Et si fuchs n’était pas ce roc qu’il aimerait faire croire ? » Ou de se dire : « Le Russe est un danger permanent. » Ce qui va advenir est pourtant inattendu. Non pas pour le lecteur, qui en devine les prémisses, mais pour les personnages eux-mêmes, dans une sorte d’ironie dramatique. Une « inexplicable harmonie » se fait jour entre trois hommes pourtant programmés pour se détester.
Ce one-shot dû à l’habituel tandem Teresa Radice et Stefano Turconi radiographie le climat particulier de la Seconde guerre mondiale et unit trois hommes qui ne se sont pas choisis dans une même quête de liberté. C’est cette chair humaine, cette ivresse spécifique à l’affranchissement, qui va ordonner l’ensemble du récit. Anti-spectaculaire, semi-réaliste, dépassant les clichés dont on voudrait affubler l’autre, La Terre, le ciel, les corbeaux se conçoit comme une immersion dans la résilience et l’incommunicabilité. Cette dernière transparaît d’ailleurs amplement à travers des phylactères rédigés en allemand ou en russe. Si le rythme peut sembler lâche et les planches parfois verbeuses, l’intensité (réelle) de ce roman graphique naît de ses dispositifs d’interactions et de dévoilements : nuances de couleurs, d’émotions, d’humanité donnent à voir le tréfonds de l’être et ce, dans le contexte si spécifique de la Seconde guerre mondiale.
La Terre, le ciel, les corbeaux, Teresa Radice et Stefano Turconi
Glénat, janvier 2022, 208 pages