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« La Nuit de la goule » : la mère de toutes les peurs

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La Nuit de la goule se caractérise par une construction narrative à deux corps et une esthétique graphique saisissante. Cette nouvelle collaboration entre le scénariste Scott Snyder et le dessinateur Francesco Francavilla donne naissance à un récit entremêlant habilement deux histoires aux temporalités différentes, tandis que le suspense y est charpenté avec grand soin. L’œuvre, initialement publiée sous forme de série numérique sur Comixology, a finalement atterri chez Dark Horse Comics.

La Nuit de la goule (Night of the Ghoul en version originale) aurait difficilement pu passer inaperçu, puisqu’il réunit rien de moins que le scénariste renommé Scott Snyder et le talentueux dessinateur Francesco Francavilla. Tous deux maîtres de l’horreur, ils parviennent à créer une expérience visuelle et narrative aussi complexe qu’immersive. Sur le plan du récit, l’un des aspects les plus saillants réside dans une structure narrative faisant coexister, de manière alternée, deux histoires indépendantes l’une de l’autre, mais liées par la goule et les éclairages qu’elles s’apportent mutuellement. D’une part, nous suivons l’histoire contemporaine de Forest Inman, un restaurateur de films d’horreur obsédé par la découverte d’une œuvre qu’il tient en très haute estime. Pour obtenir des informations sur cette dernière, il décide de rendre visite au réalisateur T.F. Merritt, qui végète, défiguré, dans une institution de soins isolée et inquiétante. D’autre part, nous plongeons dans le film lui-même, avec des extraits présentés en monochrome gris, aux bords brûlés et effilochés, comme peuvent l’être les pellicules endommagées. Car Night of the Ghoul a été la victime d’un incendie qui l’a condamné à ne jamais voir le jour. Cette juxtaposition des deux arcs crée une tension palpable et une immersion totale dans l’horreur.

Francesco Francavilla excelle dans la réalisation graphique de La Nuit de la goule. Il tapisse le récit d’une ambiance sombre et sinistre, jonglant volontiers avec les références – celles des thrillers d’Hitchcock, des films de monstres universels ou de l’expressionnisme allemand. Aux vignettes spectaculaires rendues au dernier degré de l’horreur se mêlent des teintes rougeâtres ou jaunâtres faisant parfaitement sens. En parallèle, Scott Snyder construit méthodiquement son récit, alternant entre les moments de tension et les révélations. Le scénariste de Detective Comics exploite en clerc l’aura de mystère dont se nappent certaines vieilles bobines perdues. Il caractérise en sus des personnages abîmés, peinant à distinguer le vrai du faux. Ainsi, Forest Inman n’est pas qu’un réalisateur raté se passionnant pour les vieux films qu’il numérise. Il est aussi un père de famille maladroit, soucieux de plaire à son fils, pétri de vulnérabilités. Son escapade nocturne dans le centre de soins de T.F. Merritt en compagnie de son fils rend l’horreur encore plus tangible et perturbante.

La goule est l’élément horrifique central dans l’album de Scott Snyder et Francesco Francavilla. Présentée comme la mère de tous les autres monstres, elle incarne la terreur et la fascination, par exemple à travers sa consommation de chair morte ou sa menace diffuse, diluée à travers ses soutiens ou une présence conçue en pointillés. La mise en scène de la goule est particulièrement réussie, avec des scènes d’horreur viscérale et des moments de tension allant crescendo. Francesco Francavilla parvient très bien à façonner l’essence effrayante de ce monstre, en instillant notamment des jeux de lumière et d’ombre habilement placés. De son côté, le film agissant comme un élément déclencheur, manifestement semi-autobiographique, offre une perspective narrative vertigineuse. En révélant progressivement, par ce biais, des informations sur la goule et le cinéaste lui-même, Scott Snyder crée un enchevêtrement remarquable entre fiction et réalité. Cette approche astucieuse permet aux lecteurs de s’immerger davantage dans l’histoire et de développer une compréhension plus profonde des personnages et de leurs motivations, ajoutant ainsi une certaine densité à l’ensemble.

Enfin, il est intéressant de noter que le film Night of the Ghoul au cœur de cet album raconte l’histoire d’une unité militaire envoyée en Italie pour libérer un village pendant la Première Guerre mondiale. Cependant, une fois arrivés sur place, les soldats sont traqués et tués par une entité monstrueuse ineffable. Le film de T.F. Merritt se concentre sur les horreurs auxquelles les soldats sont confrontés et explore, en filigrane, les conséquences dévastatrices de la guerre sur leur psyché. En un certain sens, La Nuit de la goule questionne les traumatismes de la guerre et la façon dont ils peuvent engendrer des monstres, à la fois sur le champ de bataille et dans l’esprit des soldats. Les cicatrices indélébiles laissées par la violence belliqueuse trouvent un écho amplifié, déformé, porté à incandescence à travers une goule érigée en mère de toutes les peurs.

La Nuit de la goule, Scott Snyder et Francesco Francavilla
Delcourt, juillet 2023, 168 pages

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